1ES, L et S
Libéralisme et doctrines sociales.
Quelle conception de la société
est développée par chacune des grandes théories politiques économiques du 19ème
siècle ?
I Le libéralisme.
a) Une théorie économique.
Le libéralisme économique nait en
Angleterre au 18ème siècle. Pour les libéraux la loi du marché (offre et
demande) assure naturellement l'équilibre production et consommation.
l'Ecossais Adam Smith (1723-1790) parle de l'intervention d'
une "main invisible".
Loi de l'offre et de la demande
: les prix et les quantités fournies
sont fixées en fonction de la production et de la demande.
b) Une théorie politique.
Le libéralisme est aussi une
doctrine politique. Les libéraux sont très attachés aux libertés fondamentales
(liberté d'expression, liberté de conscience, etc...).
Les libéraux considèrent également que l'État doit réduire au minimum son
intervention dans l'économie. Son rôle doit se limiter aux fonctions
régaliennes. C'est à dire la justice, l'ordre, la défense et éventuellement
l'éducation. La théorie libérale est souvent résumée par l'expression
"Laisser faire, laisser passer".
c) Le libéralisme économique
dans les États.
Il s'impose progressivement. En
Angleterre, le libéralisme domine l'économie dans la deuxième moitié du 19ème siècle.
En France, le second empire sur sa fin devient moins autoritaire sur le plan
politique et plus libéral sur le plan économique. En 1860 est signé un traité
libre-échangiste avec l ’Angleterre. Mais, la fin du siècle est marquée par une
dépression économique. La République reviendra donc à des pratiques
protectionnistes (Tarif Méline en 1892) où les productions nationales sont
protégées par des tarifs douaniers. Dans les années 30 dans le contexte de la
Grande Dépression, aux EU, en France et en GB, les États interviendront dans
l'économie pour tenter de sortir de la crise. Tous ne sont pas inspirés par les
théories keynésiennes de relance
de la production par la consommation.
II Les socialismes.
Le mot socialiste est utilisé à
partir de 1820 en Angleterre. Mais il se diffuse en France à partir de 1832
quand il est utilisé par Pierre Leroux. Les doctrines socialistes prennent
ensuite leur essor en Europe à la fin du XIXème siècle. Par exemple, en 1875,
est crée le SPD en Allemagne. Le socialisme se propose de supprimer les
inégalités sociales. Il est opposé à l'individualisme et au libéralisme.
Cependant, le socialisme est
divisé. Pour simplifier, on peut distinguer 4 socialismes.
a)
Les premiers
socialismes (Christophe Prochasson)
Les premiers socialismes
sont marqués par une très grande
diversité. C’est F. Engel qui leur donne, a postériori, en 1880, un semblant
d’unité dans un fascicule traduit en français par Paul Lafargue : Socialisme utopique et socialisme
scientifique. Le mot « socialisme » se diffuse à partir
de 1832 avec Pierre Leroux (1797-1871) mais chez les différents penseurs de la
fin du 18ème siècle et du début du 19ème siècle rattachés à ce courant, le socialisme ne désigne pas forcément les
mêmes réalités. Les théoriciens qualifiés de socialistes se distinguent en
particulier sur la question du rapport
au politique (faut-il s’engager dans l’action politique pour voir la
société changer ?), sur celle des moyens
à employer pour changer cette société (révolution, réforme, action
violente, grève générale), sur le type
de propriété à mettre en place (collective, individuelle, mutuelle). Ils
n’ont pas également le même point de vue sur l’égalité. Pour terminer, ils n’ont pas le même rapport à la religion et n’envisagent pas le même modèle politique.
|
Action politique |
Transition |
Propriété et organisation économique |
Egalité |
Politique |
Religion |
« Gracchus »
Babeuf (1760-1797) Le tribun du peuple Le manifeste des égaux. |
Refuse de séparer devenir
social et action politique |
Envisage l’action législative
mais face aux insuffisances de la Révolution Française, il recourt à
l’insurrection à la conjuration
« Conjuration des Egaux » en 1796-97 dans une logique
révolutionnaire. |
« La communauté des biens
et des travaux ». Un précurseur du communisme |
Il s’agit d’achever l’œuvre de
la Révolution française. Pour une égalité réelle et non une simple
substitution d’une classe dirigeante (bourgeoisie) à une autre (noblesse) |
Une démocratie de type
républicain |
|
Claude Henri de Saint-Simon
(1760-1825) Le catéchisme des Industriels
(1823-1824) Le nouveau christianisme
(1825) |
Distingue transformations
sociales et action politique. |
Ne croit pas à la nécessité de
violences insurrectionnelles. |
Un système économique
industriel et scientifique dominé par des hommes d’affaire et des savants. Un
socialisme planificateur et technocratique |
Objectif : d’améliorer le
sort des plus pauvres en supprimant les privilèges « l’amélioration
rapide du sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». Selon
sa célèbre parabole il place au premier plan les savants, les producteurs et
relègue au second , les rois , les nobles, les
juges, les oisifs |
Conformément à sa logique
sociale, il souhaite la mise en place d’une république de producteurs. Il se
montre plutôt favorable à l’égalité en droit des femmes. Au niveau international, il envisage la
création d’une Europe fédérale respectueuse des indépendances nationales à
partir d'un embryon constitué par l'Union de la France et de l’Angleterre. |
D’abord athée, Saint Simon
croit que la société a besoin pour des raisons morales d’une religion. Il
propose donc un nouveau christianisme qui imposerait à tous une forme d’amour
fraternel. |
Charles Fourier (1772-1837) Nouveau monde industriel et sociétaire (1829) Le Phalanstère (revue) |
Charles Fourier ne croit pas au
primat de l’action politique pour régler la question sociale. |
Il garde un mauvais souvenir de
la Révolution où il a perdu une bonne partie de sa fortune. |
L’analyse de son époque le
pousse à souhaiter la fin du monde
issu de la Révolution française et de l’industrialisation. Ce monde est troublé politiquement socialement économiquement.
Il parle de façon péjorative de « civilisation ». En mettant fin aux contraintes qui
affectent les hommes et les femmes, il pense possible d'accéder à l'harmonie. Il envisage une
organisation sociale fondée sur de petites unités autonomes les phalanstères. |
Fourier n’est pas égalitariste.
Dans sa cité idéale, riches et pauvres cohabitent mais restent inégaux dans
leurs revenus et leurs patrimoine ne serait-ce que pour susciter l’ambition,
l’une des passions fondamentales selon lui. |
Plutôt favorable à l’égalité en
droit des femmes. |
|
Etienne Cabet
(1788-1856) : Voyage en Icarie ,1842 Comment je suis communiste,
Paris : au bureau du Populaire, 4ème Ed. , février 1845. |
Se considère comme un héritier
de la révolution française. |
Il participe d’ailleurs aux
journées révolutionnaires de juillet 1830 ( trois
glorieuses) mais il ne fait pas de la révolution une absolue nécessité :
« si je tenais une révolution dans ma main je la tiendrai fermée »
Etienne Cabet aux Babouvistes qu’il
veut rallier. |
On idéal est un idéal
communiste. Dans la lignée de Babeuf, il est pour la propriété commune de la
terre et de l’industrie. Il espère propager cet idéal en réalisant des
communautés notamment en Amérique. |
Il est pour une égalité
absolue. |
L’idéologie de Cabet est une
idéologie républicaine. E. Cabet
dénonce le sort des femmes battues mais n’envisage pas pour autant que
leur soit accorder le droit de vote. |
Etienne Cabet propose un
socialisme chrétien attaché à la justice et hostile à l’individualisme
bourgeois. |
Le Palais social de JBA Godin
JBA Godin (1818-1888), fils d’un
artisan serrurier de Thiérache en Picardie, est un ancien ouvrier. Il
s’installe à Guise à partir de 1846. Son entreprise compte alors 30 ouvriers.
Il est inspiré par Charles Fourier, Robert Owen, Saint Simon et Etienne
Cabet. Après avoir perdu une partie de
sa fortune en participant au financement de l’expérience communautaire de
Victor Considérant au Texas, il conçoit en en 1858 sa propre cité idéale :
le palais social ou familistère. Son ambition est la suivante : fournir
aux familles ouvrières ce que la richesse réserve aux nantis, c'est-à-dire le
logement, la santé, l’éducation, la culture, les loisirs. Il croit que
l’architecture peut favoriser la réalisation de cette ambition. En 1859, débute
donc la construction du Familistère où l’habitat est collectif avec des
bâtiments construits pour permettre la circulation de l’eau de l’air et
de la lumière. L’accent est mis sur l’hygiène avec l’eau courante, l’eau chaude
pour le linge et les bains, des fontaines, des cabinets aux balayures. Par ailleurs, le Palais social est organisé
pour favoriser la socialisation des ouvriers.
Sous l’égide de sa seconde femme il met en place une structure éducative
très complète de la nourricerie aux écoles. Le familistère comprend également
un théâtre, une piscine aménagée pour l’apprentissage de la natation dès le
plus jeune âge. Un économat permet de satisfaire les besoins journaliers des
familles et un système mutualiste très complet est mis en place en cas d’accident,
de maladie. Finalement, en 1899, l’usine compte 1500 salariés. C’est
désormais une coopérative de production,
les ouvriers en sont propriétaires. Il prouve ainsi, un temps, qu’une expérience socialiste peut
avoir une réalisation concrète.
Si JBA Godin a atteint ses
objectifs en bien des points, il n’en est pas pour autant épargné
par la critique. Emile Zola en visite à Guise pour la préparation de son roman Travail est impressionné par le niveau
de santé des ouvriers et par l’organisation des magasins. Mais il reproche au
modèle créé par Godin la rigidité de l’organisation collective. Il y voit une
contrainte nuisible à l’épanouissement individuel et un risque
d’uniformisation.
b) Le socialisme
révolutionnaire marxiste.
Le marxisme se distingue des
socialismes qui l'ont précédé par l'analyse scientifique de l'économie et de la
société. Pour Marx, l'histoire s'explique par la lutte des classes.
Lutte des classes : selon Marx opposition constante dans l'histoire,
entre classes dominantes et classes dominées.
Les marxistes souhaitent
remplacer la propriété privée par la propriété collective des moyens de
production. Cela peut passer par une collectivisation mais aussi par une
Étatisation.
Le prolétariat doit prendre le
pouvoir. A la suite de cette prise de pouvoir doit être établie une dictature
du prolétariat ( phase socialiste) avec un État
fort. Pour les marxistes, cette phase serait nécessaire avant de créer une
société sans classes et sans État (phase du communisme).
Prolétariat : ceux qui n'ont pour vivre que le travail de leurs
mains. ( dans l'antiquité romaine, le terme désignait
la couche sociale qui n'avait pour toute richesse que ses enfants. Du latin proles : descendant.
C'est ce socialisme que l'on
désigne couramment comme le communisme.
c) le socialisme
révolutionnaire anarchiste.
L’anarchisme
est d’abord une contestation. Les anarchistes dénoncent la société libérale, le
pouvoir de la bourgeoisie. Ils condamnent l'État et la démocratie
parlementaire. Kropotkine, par exemple, écrit dans Paroles d'un révolté "
Parisiens, allez donc à la chambre voir vos représentants pour vous dégoûter du
gouvernement représentatif".
L’anarchisme
est également un idéal. Pour les socialistes anarchistes, la solution à la
disparition de l'État est la libre association
des individus. Dans le domaine politique, on peut parler de fédéralisme
(Principe fédératif- Proudhon), dans le domaine économique, on peut évoquer
l'autogestion et le mutualisme (Proudhon).
Proudhon
est favorable à la grève générale pour abattre l'État bourgeois. " Nos
prolétaires ont un si grand soif de science qu'on serait fort mal accueilli
d'eux si on avait à leur présenter à boire que du sang " (Proudhon-1856).
Il n’est pas cependant convaincu de l’égalité des genres. Certains avec Bakounine
préconisent l'emploi de la violence et le recours au terrorisme.
Le
socialisme révolutionnaire inspirera le syndicalisme français à ses débuts.
Dans une conception anarcho-syndicaliste (Fernand Pelloutier, Emile
Pouget), la grève générale doit permettre de satisfaire les
revendications et abattre le régime capitaliste.
d) Le socialisme réformiste.
Pour
les socialistes réformistes, le sort
des travailleurs peut être amélioré par des réformes successives. C'est ce socialisme réformiste que l'on désigne
désormais plus couramment comme le socialisme.
En Europe, le socialisme réformiste s'impose. En 1906 est crée en Angleterre,
le parti travailliste (Labour Party )
En
France, le socialisme est divisé en factions rivales jusqu'en 1905. Les partis
sont plus ou moins révolutionnaires. Finalement en 1905, l'essentiel des forces socialistes s'unifie au sein du parti
socialiste, section française de l'internationale ouvrière (SFIO).
Par
la suite le mouvement socialiste français se divise et donne naissance à la
suite du congrès de Tours en 1920 au Parti communiste et
au Parti socialiste.
III Le traditionalisme.
a) Un rejet.
Le
traditionalisme rejette
l'industrialisation et la société qu'elle modèle. La ville est perçue par
les traditionalistes comme un monde de perdition puisque la famille
traditionnelle y est menacée (nombreuses naissances hors mariage et union
libre). Ils dénoncent d'ailleurs la déchristianisation
de la société. Ils condamnent la disparition
des hiérarchies "naturelles", l'autorité du père du patron de
l'église. Les traditionalistes condamnent l'individualisme du libéralisme et
l'égalitarisme du socialisme. Certains traditionalistes comme le monarchiste français Charles Maurras
rejettent également la démocratie parlementaire.
b) Un idéal.
Les
traditionalistes souhaitent le rétablissement
des solidarités anciennes et une société
hiérarchisée sur le modèle pyramidal de la société d'ancien régime. Ils
souhaitent également une société conforme aux valeurs morales du christianisme. Le traditionalisme inspire
nettement le paternalisme. Dans le
domaine social, les traditionalistes estiment que des corporations associant patrons et ouvriers remplaceraient
avantageusement les syndicats. Dans le domaine politique, les traditionalistes
considèrent que le pouvoir doit revenir
aux meilleurs, à l'élite. En France, le plus célèbre des traditionalistes
est Frédéric Le Play (-1882). Son discours fut relayé par le belge Albert de
Mun.
Conclusion :
Si dans sa conception politique,
le libéralisme peine à s'imposer dans une Europe de la deuxième moitié du 19ème
siècle où dominent les régimes autoritaires, sous sa forme économique il
devient dominant et accompagne le processus d'industrialisation. Cependant, le
processus d'industrialisation donne naissance à un monde ouvrier exploité qui
voit dans les socialismes le moyen d'améliorer son sort. Les traditionalistes,
eux, ne s'accommodent pas de cette modernisation de la société et rejettent
tout à la fois le libéralisme et le socialisme. Ces idéologies ne meurent pas
avec le 19ème siècle. Au XXème siècle, la question est celle de la régulation
puisque le libéralisme ne peut seul empêcher la crise. Le contexte de la grande
dépression favorisera d'ailleurs l'accession au pouvoir de nouvelles
idéologies. Le nazisme, le fascisme mais aussi le communisme seront les
supports idéologiques de nouveaux régimes : les totalitarismes. En France,
pendant la seconde guerre mondiale certains traditionalistes croiront leur
heure arrivée.
Bibliographie :
Denis
Brand, Maurice Durousset , Dictionnaire Thématique Histoire et Géographie,
Sirey Editions.
Clés
pour l'enseignement de l'Histoire, CRDP, Académie de Versailles.
Sous
la direction de J-J Becker et G Candar, Histoire
des gauches en France, poche La Découverte.
Rebérioux M., Goergel C., Moret F., Socialisme et utopie de Babeuf à
Jaurès. Documentation Photographique, n°8016, La documentation
photographique, 2000.
Dernière mise à jour : 03-11