Le fonctionnement des sociétés coloniales

 

I L'organisation des colonies

a) Débat sur l'administration des colonies.

En métropole se pose la question de savoir comment administrer efficacement et " à bon compte " les colonies. En théorie, deux politiques sont promues. La France prône l’assimilation. C'est la volonté de donner à terme aux peuples colonisés le même statut que les citoyens français. En réalité, cela ne concerne qu'une minorité et ce système accorde tous les pouvoirs à la métropole qui administre directement (Algérie, divisée en trois départements, Antilles (destinée du Guyanais Félix Eboué), Réunion, Cochinchine, quatre communes au Sénégal (Saint-Louis, Dakar, Rufisque, Gorée). Les britanniques, en particulier Sir Frederick Lugard (1858-1945) gouverneur du Nigeria, mettent en avant l’association. Il s’agit de maintenir les institutions locales et traditionnelles et de s'appuyer sur elles pour administrer les territoires colonisés. En réalité, dans son  empire colonial la France pratique les deux politiques  en effet on observe une forme d’association dans les protectorats du Maroc et de Tunisie. Le statut de l'Algérie est très particulier. Elle dépend du ministère de l'intérieur et non de celui des colonies. Trois départements sont créés dans le nord du territoire dès 1848. Elle bénéficie d'une relative autonomie à partir de 1898. En Inde, la France possède également des comptoirs. Les statuts des  territoires colonisés sont donc d'une grande diversité.

En métropole, l'école coloniale fournit les cadres nécessaire à l'administration de ces territoires (gouverneurs, résidents, administrateurs coloniaux, intendants,  chefs de cercles)

Comptoirs : agence de commerce fondée par une nation en pays étranger (Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanaon)

Protectorat : territoire demeurant souverain, en principe, sur le plan intérieur avec le maintien de ses autorités traditionnelles mais qui délègue un certain nombre de pouvoirs à une puissance étrangère dans le domaine de la défense, de la diplomatie et du commerce.

b) … Les conditions de la « mise en valeur » des colonies

Les métropoles investissent effectivement pour mettre en valeur les colonies. En 1913, la France consacre 9 % de ses capitaux à son empire, contre 47 % pour la Grande-Bretagne. Ces investissements permettent d’équiper les colonies en infrastructures. Des ports sont construits, des wharfs sont réalisés comme au large de Lomé (Togo) ou de Rufisque (Sénégal). Des lignes de chemin de fer sont réalisées comme en AEF avec  la construction du Congo-Ocean de Brazzaville à l'Océan (795 km). Certains de ces investissements bénéficient directement aux populations comme avec la création des instituts Pasteur  pour  lutter contre des maladies tropicales comme la trypanosomiase ou le paludisme. Mais ces efforts n’empêchent pas les ravages de maladies importées comme la variole ou la grippe espagnole qui après la première  guerre mondiale décime  1/10ème de la population en AEF. Par ailleurs beaucoup des investissements réalisés permettent de renflouer vers la métropole les ressources issues des colonies. On y exploite en effet  les produits primaires. On développe les cultures de rente ou de rapport,  la viticulture en Algérie, le café, l’arachide, le palmier à huile ou le cacao en AEF, ou en  AOF, le riz le caoutchouc en Indochine. On peut alors parler d’économie de plantation.  Mais on voit également se développer une économie de prédation avec l’exploitation des bois tropicaux et du produit des mines (charbon, phosphate). Ceci crée des situations de monoproduction. D’autant plus qu’on ne cherche pas à développer l'industrie. C'est ce qu'indique notamment le rapport du gouverneur Paul Doumer en Indochine.


Cette exploitation économique des colonies est basée sur le travail des populations colonisées (achat des productions, salariat) mais il faut noter également l'existence du travail forcé dans tous les empires coloniaux. Dans l'empire français, il s'agit de prestations gratuites pour des travaux d'intérêt local ou colonial (12 jours en AOF- 15 jours en AEF). Les conditions de travail sont souvent difficiles. La construction du chemin de fer Congo-Océan s'avéra un enfer : sur les 127 000 hommes recrutés de force (1921-1932), 25 000 moururent d'épuisement, de maladie ou victimes de mauvais traitements. A Madagascar, Gallieni instaure une prestation en travail de 50 jours pour tout malgache de 16 à 60 ans (fanompoana). Pour les conscrits non retenus par l’armée, un service de  3 ans de travail est établi (SMOTIG). Dans ce même territoire, les paysans sont spoliés de leurs terres au bénéfice de colons. En 1926, l’Etat devient  propriétaire de toutes les terres considérées comme vacantes.                  
Enfin, il faut savoir que pour beaucoup l’effort d’équipement repose sur la contribution fiscale des populations locales.  L’impôt de capitation représente d'importants revenus comme en AOF, où il s’élève à  156 millions de francs en 1929. Cet impôt  finance en moyenne 25 % du budget colonial des métropoles (France, Portugal, Belgique).
Impôt de capitation : impôt dont le  montant par habitant et par an s'élève à 2 francs en AOF, 1.55 F en AEF et 1.35 Francs belges au Congo Belge.

II Une société coloniale profondément inégalitaire.

a) Un système discriminant. 

Progressivement, le statut de l'indigénat se développe dans l'ensemble de l'empire colonial français. En 1887, le code de l’indigénat  mis en place dès 1881 en Algérie est généralisé à toutes les colonies françaises. Paradoxalement, ce droit institué par la République crée une catégorie de sujets de second rang dans l'empire colonial. En effet, les non-européens sont considérés comme des indigènes. Ils ne sont donc pas des citoyens à part entière même si une partie du droit métropolitain s'applique à eux. Contrairement à la promesse assimilatrice, le droit colonial  maintient  les populations locales en situation d'infériorité et  permet de maintenir l'ordre de façon brutale et autoritaire. Le statut personnel de l'indigène permet de le juger selon sa religion.

Statut personnel de l'indigène : situation de l'indigène au regard de sa religion. Ce dernier est donc jugé selon un droit civil et pénal spécifique, lié à sa religion.

Indigénat : statut de l'indigène que le droit colonial maintient en situation d'infériorité sur le plan juridique, fiscal et politique.

b ) La ville de Saïgon, reflet d'une société inégalitaire.

La société coloniale est donc profondément discriminante. Cela se traduit dans l'espace avec des quartiers européens  clairement séparés des autres. On observe cette situation notamment à Saïgon, capitale de l'Indochine française entre 1887 et 1901, où le quartier européen reproduit l'architecture et le mode de vie métropolitain.

c) Une assimilation culturelle.

Sur le plan culturel, on assiste à un double processus dans l'empire colonial. Dans les colonies, selon une logique d’assimilation, on observe un phénomène d’acculturation des populations locales. Tandis qu’en métropole, se construit dans le même temps, l’image du sauvage pour légitimer la colonisation par le devoir de civilisation.

Pour créer des citoyens à part entière un effort de scolarisation est fait. A Madagascar, on estime qu’en 1880, les taux de scolarisation sont comparables aux taux européens. Cependant, cet effort est inégal. En Algérie, en 1914, seulement 5 % des enfants musulmans fréquentent l'école. L’assimilation ne concerne donc le plus souvent qu'une élite minoritaire qui a tendance à adopter le mode de vie et la culture de la métropole. On parle d’acculturation. Si dans une logique d’association, le britanniques prétendent respecter les coutumes locales, en réalité le résultat est le même. Les élites ont tendance a abandonner certaines de leurs références culturelles.

Dans les métropoles, dès la deuxième moitié du 19ème siècle, des cirques, des zoos humains font passer les peuples colonisés pour des primitifs sanguinaires et violents lorsque le territoire doit être pacifié (ashantis, amazones de Béhanzins), enfantins, lorsqu’il s’agit de les civiliser et de les évangéliser.  Il arrive cependant que certains s’insurgent contre ce double processus.           

Acculturation : processus par lequel un individu adopte une culture étrangère (langue, mode de vie, religion), ce qui peut l'amener à abandonner sa propre culture.

Conclusion : Les paradoxes de la colonisation française sont donc nombreux. En maintenant les indigènes en situation d'infériorité, le droit colonial français conforte des inégalités. Cela va contre les principes d'un modèle colonial qui préconise l'assimilation. Dans ses colonies, la France prétend faire des citoyens français à part entière sans s'en donner tous les moyens.