Le paysage dans quelques œuvres du Musée des Beaux-arts de Mirande

 

Le Musée de Mirande inauguré en 1983, doit beaucoup aux legs de Joseph Delort , administrateur, homme de lettres et artiste né à Mirande le 11 octobre 1784. Cette première collection fut par la suite enrichie par différents dépôts de l’Etat et par d’autres donations. Le Musée présente donc un éventail assez large d’œuvres du 15ème au 20ème siècle. A l’exception de quelques natures mortes et de plusieurs portraits, le paysage apparaît dans la plupart des tableaux. Il faut dire que la présence de ce motif dans la peinture n’est pas une nouveauté. Cependant, le fait de représenter le paysage pour ce qu’il est ne fut pas toujours accepté. Il fut souvent utilisé comme simple décor. Pour l’illustrer, il suffit de rappeler l’origine du mot en français. Il apparaît au XVIe siècle, vraisemblablement sous l’influence de la langue néerlandaise (landschap), et de la peinture flamande avec Joachim Patenier (1485-1524). Celui-ci fut l’un des premiers peintres à représenter la nature pour elle-même. Dans le domaine de la peinture en tous cas, le paysage désigne la représentation d’un site, naturel ou construit, réel ou imaginaire, avec ou sans personnages, quelle que soit la technique artistique utilisée.

 

Alors quelle est la place du paysage dans les œuvres du 19ème siècle et du début du 20ème présentées dans le Musée ? Change-t-elle ? Est-elle révélatrice de l’évolution des préoccupations qui animent les courants artistiques ?

 

I Le paysage-décor : un arrière-plan conventionnel.

 

Au 19ème siècle, plusieurs courants artistiques naissent d’un rejet de l’académisme et du néo-classicisme dominants. Du 18ème siècle au début du 19ème, sur le modèle de David, d’Ingres ou d’Antoine-Jean Cros, l’art officiel ne s’accommode que des genres nobles. L’Etat, les professeurs des écoles des beaux-arts, les jurys des salons, les clients aisés et instruits, attendent des artistes qu’ils réalisent des portraits, qu’ils peignent des œuvres inspirées par la mythologie et l’histoire. Il s’agit d’éduquer, d’élever l’esprit. Le paysage ne sert alors que de décor. Il est le plus souvent idéalisé et conventionnel. Il est construit en fonctions de codes, de références cultuelles du moment. Dans ce contexte, se multiplient les tableaux inspirés par l’Iliade, l’Odyssée, par les légendes de la Grèce antique. Ainsi en 1818, Jean-François Bosio (1764-1827), élève « officiel » de Jacques Louis David exécute « L’enlèvement d’Hélène, conduite par Vénus auprès de Pâris ». La comparaison avec l’œuvre du maître, « Les amours de Pâris et d’Hélène » laisse peu de doutes sur les sources d’inspiration de l’artiste. Fleurissent également à la même époque, les mythologies galantes. Ici la mythologie n’est souvent que le prétexte à la représentation de nus féminins plus ou moins voilés mais toujours idéalisés comme on peut le voir dans « La naissance de Vénus » de Cabanel. « La surprise de l’amour » de Marie Nicolas, huile sur toile de 1885, offre un exemple très tardif de cet art académique. On peut d’ailleurs mettre en relation cette œuvre avec la « Nymphe endormie », huile sur toile de la fin du 17ème siècle présentée également dans le musée. A l’époque, les tableaux de grandes dimensions sont en principe réservés aux grandes scènes mythologiques et historiques comme en témoigne tardivement, « L’épisode de l’Affaire de Quiberon » de Paul-Emile Boutigny, une huile sur toile de deux mètres sur un mètre quarante-cinq réalisée en 1881.

 

II Le paysage objet d’expériences renouvelées.

 

En 1819, Théodore Géricault fait donc scandale en représentant sur une toile de quatre mètres quatre-vingts onze sur sept mètres quinze, un épisode contemporain : l’affaire du naufrage de la Méduse au large du Sénégal en 1816. Ce tableau est considéré comme l’annonciateur du romantisme. L’artiste y revendique, en effet, sa liberté face aux contraintes de l’académisme. Les peintres romantiques exaltent la passion, l’imagination, les sentiments. Ils cherchent à rendre par leur peinture la sensibilité et le mouvement. Les sujets privilégiés sont souvent la mort, les évènements contemporains. « La liberté guidant le peuple » de Delacroix est une autre illustration de ces préoccupations. Le paysage n’en demeure pas moins important. Il participe, en effet, à l’émotion créée par le tableau. On y voit souvent la nature dans ses excès. Elle donne alors une dimension dramatique à l’œuvre. C’est cette relation entretenue par le paysage avec le drame qui fait voir dans Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812) un précurseur du romantisme (« Paysage avec un homme combattant un serpent » -1776). Ici le paysage crée des émotions. S’il produit cet effet, c’est parce que nous l’interprétons avec nos références. Celles-ci on été acquises par le biais d’une éducation. Le regard est donc aussi le produit d’une culture.

 

Le Musée de Mirande possède également une œuvre de Théodore Rousseau, fondateur de l’école de Barbizon (à proximité de la forêt de Fontainebleau) en 1836. La mise au point de la peinture en tube et son importation en provenance du Royaume-Uni à partir de 1824, rend désormais possible la peinture en extérieur. Le train à vapeur permet de gagner des lieux plus éloignés. Le paysage tient donc désormais une place majeure dans l’œuvre. C’est en 1822, que le mot « paysage » apparaît pour la première fois dans un titre de tableau. Les réactions sont d’abord violentes. Ils sont d’abord refusés dans les salons par les jurys défenseurs acharnés de l’académisme. Mais en s’inspirant des tableaux de Constable, Bonington et Fielding, l’école de Barbizon finit par conquérir son public. Il faut dire que pour la bourgeoisie, dans une France gagnée par l’industrialisation et l’urbanisation, la campagne et la nature apparaissent comme des espaces refuges. On peut considérer d’ailleurs qu’avec les impressionnistes, les peintres de l’école de Barbizon ont largement contribué à la confusion qui règne aujourd’hui encore dans nos esprits entre campagne et nature. Pourtant, les espaces ruraux ont été depuis longtemps modifiés par l’homme. On parle d’anthropisation.

 

Avec Jean-François Millet, le paysage passe un peu au second plan, le peuple est mis en avant. Il annonce en cela le réalisme. En effet, à partir de 1850, dans un contexte politique agité où l’on passe rapidement de la deuxième République au second Empire, puis de la courte expérience de la Commune à la troisième République, les peintres réalistes entendent passer de l’anecdote à l’analyse de la société. Ils souhaitent désormais rendre compte avec un certain esprit critique de la réalité sociale. Ces préoccupations sont apparentes dans l’œuvre de Courbet, comme dans la littérature de Zola. Il suffit pour l’illustrer de rappeler le sous-titre de la série des Rougon-Macquart : « Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ». L’intérêt pour la société rurale de la deuxième moitié du 19ème siècle transparaît dans l’œuvre d’Adrien-Jacques Sauzay, « Bûcherons dans le Morvan », 1867. Ces préoccupations loin des références mythologiques et historiques de l’art académique, expliquent les réactions hostiles du Comte de Nieuwerkeke, surintendant aux Beaux-arts de Napoléon III qui considère qu’il s’agit là d’une « peinture de démocrates ». Il n’en demeure pas moins que les œuvres de ce genre connaissent un vif succès dans la seconde moitié du 19ème siècle.

 

A partir des années 1870, les expériences de Théodore Rousseau en matière de techniques picturales connaissent de nouveaux prolongements avec l’impressionnisme. L’invention de la photographie en 1839 rend vaine toute tentative de copier à l’identique les paysages. C’est d’ailleurs dans l’atelier du photographe Nadar qu’a lieu l’une des premières expositions impressionnistes. Claude Monet, Edouard Manet, Degas, Pissarro ou Sysley cherchent alors moins à reproduire la réalité qu’à trouver la transcription picturale de la perception de la lumière et des couleurs par l’œil humain. Ainsi Claude Monet écrivait en 1892 : « Il faut savoir saisir le moment du paysage à l’instant juste, car ce moment là ne reviendra jamais... ». Ils utilisent donc éventuellement la technique de la réserve. Ils procèdent parfois par petites touches de couleur en forme de points (pointillisme) ou de virgules. Cette technique se retrouve chez Léonce Chabry (1832-1883) dans « Paysage de neige ». Le mélange des couleurs ne se fait plus sur la palette mais dans l’œil. Avec les impressionnistes, il y a plus de variété dans les paysages. Les artistes s’intéressent aussi aux lieux de la vie urbaine. Claude Monet écrivait à ce sujet : « Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleurs ». Enfin, les impressionnistes mettent l’accent sur le fait que le paysage n’est pas immuable. Ils peuvent par exemple représenter à plusieurs reprises le même motif mais à des moments différents.

 

Le fauvisme est un mouvement pictural qui reste figuratif. Les formes, les visages, les paysages se reconnaissent encore. Mais le travail engagé par Matisse dès 1898, sur l’harmonie, le pouvoir émotionnel de la peinture amène les peintres fauves à s’affranchir de la réalité des formes et des couleurs. Ils accordent désormais des couleurs et des tons purs. Ils simplifient les éléments picturaux. Henri Matisse écrivait en 1908 : « Tous mes rapports de tons trouvés, il doit en résulter un accord de couleur vivant, une harmonie analogue à celle d’une composition musicale ». Ce jeu d’accords se retrouve dans l’œuvre de Henry Borde (1888-1958) : « Le donjon de Bassous ». Le camaïeu de rouges et d’ocres semble en effet rehaussé par le bleu du ciel qui lui fait écho.

 

III Le paysage produit de l’imagination, reflet d’un idéal.

 

Dans un contexte d’industrialisation, de progrès technologiques, les symbolistes comme Edward. Burnes-Jones ou Gustave Moreau rejettent la réalité prosaïque et recherchent dans l’imaginaire un idéal, une harmonie qu’ils ne trouvent plus dans leur siècle. Gustave Moreau par exemple, disait « Quand ce peuple pourra penser et rêver, on lui donnera l’art qui fait penser et rêver. À quoi bon cette lutte niaise du poète contre cette inertie et ce sauvage amour de la grossière réalité qui forment le fond de la nature de ce peuple de comptables ? » Les symbolistes s’inspirent donc de tout ce qui peut nourrir l’imagination : les mythes, les légendes, les religions, les croyances....Le paysage n’est plus du tout réaliste. Il est stylisé, décoratif. La femme idéalisée ou inquiétante tient une place importante. Gervais Caze, par l’intermédiaire de sa référence majeure Maurice Denis, est influencé par ce courant esthétique. Ceci explique le décalage apparent entre son œuvre et le contexte de sa réalisation : la guerre, les tranchées et les hôpitaux. On peut voir dans le travail parfois inachevé de cet artiste mort au front le 13 juillet 1917, un idéal de paix teinté de patriotisme et d’inspiration religieuse.

 

Conclusion : La place du paysage dans l’œuvre évolue donc au cours du 19ème siècle. Le paysage est souvent une réalité construite sur laquelle on projette une culture, une imagination et parfois des rêves. Avec l’académisme le paysage, au second plan, au propre comme au figuré, est un paysage conventionnel, codifié. Avec les romantiques, il participe à l’émotion créée en s’appuyant sur les références du spectateur. Avec l’école de Barbizon, il devient refuge. La confusion est alors entretenue entre campagne et nature. Le paysage devient ensuite chez les impressionnistes un champ d’expérimentation. Il s’agit désormais pour eux de capter les sensations de la perception. Les « fauves » s’éloignent de la réalité en recherchant avant tout l’harmonie dans la complémentarité des couleurs. Les symbolistes finissent par renverser la proposition en faisant du paysage le miroir d’une image intérieure. Grâce à ces multiples exemples, on a pu constater que le paysage n’existe pas en lui-même, il n’existe qu’avec le regard de celui qui l’observe. Sur une toile, Il trahit donc deux cultures : celle de celui qui produit l’œuvre et celle de celui qui la contemple. La peinture a d’ailleurs contribué à transformer notre façon de voir la nature. Cézanne ne disait-il pas que les paysans de la région d’Aix ne "voyaient pas" la Sainte-Victoire. En somme, le paysage n’existe que dans la relation entre ce qui est regardé et celui qui regarde. Ce dernier est par ailleurs conditionné par la culture dont il est l’héritier. L’œil sauvage n’existe donc pas.

 

Auteur : Manuel Nérée

 

Vocabulaire :

 

Paysage :

 

   en peinture : représentation d’un site, naturel ou construit, réel ou imaginaire, avec ou sans personnages, quelle que soit la technique artistique utilisée

   en géographie : portion d’espace analysée visuellement, résultat de la combinaison dynamique d’éléments physico-chimiques, biologiques et anthropiques qui en réagissant les uns sur les autres font un ensemble unique. ( Augustin Berque)

 

Genre :

classement d’un tableau en fonction de son sujet : portrait, autoportrait, paysage, nature morte, peinture historique, peinture de genre.

 

Anthropisation :

effet de l’action humaine sur les milieux naturels.

 

Pointillisme :

procédé consistant à juxtaposer de petites touches de couleur.