Les moyens de la puissance à partir des mers et des océans : la
dissuasion nucléaire et les forces de projection maritimes.
Sir W.
Raleigh : "Qui tient la
mer tient le monde". " Quiconque contrôle la mer contrôle le
commerce ; quiconque contrôle le commerce mondial, qui contrôle les richesses
du monde , et conséquemment le monde en soi. "
Comment les Etats affirment-ils leur
puissance à partir des mer et des océans ?
I Affirmer sa puissance à partir des mer
et des océans est un principe ancien....
a) qui remonte à
l'antiquité au moins...
Dans
l'antiquité, deux thalassocraties, la Grèce et Rome se succèdent pour imposer leur
domination sur la Méditerranée. Au 14ème siècle, les explorations du marin Zheng
Hé auraient pu ouvrir la voie d'une domination de la Chine sur l'Asie du
Sud et de l'Océan indien si les autorités chinoises n'avaient pas fait cesser
cette entreprise. L'empire Ottoman
étend sa domination sur une partie de la Méditerranée du 15ème au 17ème siècles. Les Portugais
et les Espagnols se tournent donc
vers le reste du monde du 15ème au 17ème siècle. Les traités de Tordesillas (1494) et de Saragosse (1529), partagent le monde en zones de domination au
bénéfice des deux puissances maritimes.
b) ...et se
confirme à l'époque contemporaine.
Le Royaume-Uni
et la France rivalisent ensuite pour affirmer leur puissance sur les mers mais
la France s'épuise à tenter de le faire aussi sur le continent. Les britanniques utilisent alors leur supériorité maritime pour constituer un empire sur lequel le soleil jamais ne se couche. C'est l'époque où l’amiral Halford John Mackinder, théorise
l'importance de la puissance maritime qu'il oppose à
des puissances continentales comme la France ou l'Allemagne. Dans « The historical pivot of history » publié en 1903. Pour lui,
le contrôle des mers de l’«océan mondial» est
nécessaire face au contrôle des terres de l’espace continental par une puissance adverse. Mais c'est l'officier américain Alfred T. Mahan
qui impose l'idée que la maîtrise des océans peut suffire pour
s'imposer comme puissance majeure. Il développe dans les années 1890, la
théorie du «sea power » selon laquelle le pays souhaitant
influer sur la géopolitique mondiale doit être avant tout une puissance maritime. A ses yeux, les Etats-Unis sont
une île-continent qui doit étendre sa puissance par un réseau
de bases et en développant ses capacités militaires. Cette théorie est à l'origine
de la puissance navale américaine. Dans le courant du 20ème siècle à
l'occasion de la Seconde Guerre mondiale en particulier, les Etats-Unis
imposent ainsi leur suprématie maritime.
En 1945, l'US Navy est donc la première marine
militaire mondiale. Elle représente alors 70%
du tonnage mondial. Dans le contexte de la guerre froide, l'URSS développe
sa flotte et devient la deuxième flotte
militaire mondiale au début des années 80. Celle-ci est répartie en quatre
flottes (baltique, pacifique, mer du nord et Caspienne)
Sea power : expression américaine
désignant la capacité des EU à contrôler les mers par la puissance navale, le
commerce océanique et l'industrie maritime.
Thalassocratie : État
dont la puissance réside dans la suprématie qu'il possède sur les mers
(Larousse)
II Il repose aujourd'hui sur de nouvelles bases comme...
a) ...les capacités de projection.
Une puissance
doit effectivement être en mesure de
déployer ses forces à distance hors de son territoire. Parce qu'elle permet le transport de masse, la mer
est un support de projection de
puissance. Le porte-avions est
le navire roi dans ce domaine. Les britanniques
sont les premiers à en mettre un en service en 1918. Les américains sont
les premiers à en doter un de la propulsion
nucléaire en 1960. En 2001, les
français mettent en service le Charles
De Gaulle, le seul porte-avions nucléaire qui ne soit pas américain. Les
capacités reposent aussi sur la possession de systèmes amphibies permettant le débarquement. Pour renforcer
l'efficacité de ces flottes, les Etats qui en disposent établissent des bases outre-mer. Djibouti, à l'entrée de la mer rouge a la particularité
d'accueillir les bases de 7 pays
différents.
capacité de projection : capacité d'un pays à
déployer ses forces armées hors de son territoire.
b) et la contribution à la dissuasion
nucléaire.
1957 : Les soviétiques lancent Spoutnik, le premier satellite
artificiel dans l'espace.
1958 : Les américains lancent le Nautilus, premier sous-marin
nucléaire.
La dissuasion est la capacité à décourager
un adversaire de passer à l'attaque, en le persuadant que la riposte
militaire qu'il encourra annulera les
avantages escomptés. La dissuasion a toujours existé dans le domaine
militaire mais elle prend une nouvelle dimension au milieu du 20ème
siècle. A la suite de la découverte en Europe de la fission nucléaire en 1938 (Irène et Frédéric Joliot
Curie à Paris, et Lise Meitner et Otto Hahn à Berlin), les EU réalisent le premier essai de la bombe atomique. Les 6 et 9 août
1945, cette arme est utilisée pour la seule et unique fois comme arme de coercition à Hiroshima et
Nagasaki. Les deux bombes sont alors larguées par avion. Cette technique est
envisagée et maîtrisée aujourd'hui encore mais
la mer est utilisée pour se rapprocher de l'objectif. Pour commencer, les porte-avions peuvent embarquer des bombardiers équipés de missiles nucléaires.
La mer permet également de cacher des sous-marins
nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). Leur propulsion nucléaire leur permet
de se déplacer discrètement pendant des mois. La
composante navale (porte- avions, SNLE) renforce
donc l'impact de la dissuasion nucléaire et participe à l'équilibre de la terreur. Le George Washington, mis à flot en 1960
par les EU est le premier SNLE. En 1971, la France lance son premier SNLE, le Redoutable. En 2009, c'est au tour de
l'Inde. Pour la France la possession de SNLE lui permet d'appliquer la
stratégie théorisée par P.-M Gallois, la stratégie du "faible au fort". Elle consiste à
développer suffisamment de moyens pour faire
des dégâts inacceptables et dissuader même le plus puissant d'attaquer.
III Il en résulte une hiérarchie des puissances navales.
Les Etats-Unis
sont de loin la première puissance
maritime mondiale. L'historien Pierre Royer reprend l'expression thalassokrator ( maître des
mers) inventée par Strabon pour les désigner. Ce sont les seuls à être présents simultanément sur tous les océans
grâce à six flottes. La marine américaine possède une dizaine de
porte-avions et 14 SNLE. Ils ont le monopole de technologies comme la catapulte hydraulique qui permet
d'avoir un pont plat et de limiter la consommation de carburant des avions au
décollage. Aujourd'hui, selon la stratégie du "pivot vers l'Asie" les EU envisagent de redéployer leurs
forces militaires des EU vers le Pacifique et l'Océan indien.
La Russie, la
France et le Royaume-Uni et ont des marines
à capacité mondiale. Ces trois puissances ont des porte-avions mais elles
ne sont pas présentes sur tous les
océans mais elles peuvent intervenir
dans le monde entier. La France possède un porte-avions nucléaire et quatre
SNLE. L'un d'entre est systématiquement en mer. La Russie possède encore 13
SNLE malgré la perte du Koursk en 2000. L'un des enjeux pour elle, est l'accès aux mers chaudes et ouvertes
comme la Méditerranée. Ceci explique l'importance de la base navale de Tartous en Syrie.
D'autres
puissances maritimes émergent actuellement. Avec deux porte-avions, bientôt
trois, la Chine est en passe de devenir la troisième
puissance navale mondiale. Ses capacités d'interventions sont pour
l'instant régionales. Mais elle complète ses capacités de projection en créant
sa première base militaire
extraterritoriale à Djibouti et en négociant des accords d'accès aux ports
avec de nombreux Etats bordant l'Océan indien, selon la stratégie du colliers de perles.
Se sentant
cernée, l'Inde cherche en s'équipant et en développant ses propres technologies
à devenir une puissance navale régionale. Il s'agit pour l'instant d'une puissance navale sous-régionale. Elle
possède cinq bases navales dans l'Océan indien et s'associe à l'Iran pour la
construction du port de Chabahar. L’Australie souhaite à son tour être en
mesure de contrôler son environnement régional notamment face à la Chine. Pour
cela elle cherche à se doter de sous-marins nucléaires. Après avoir passé
commande de 12 exemplaires à la France, elle a dénoncé son contrat pour se
tourner vers les fournisseurs américains et britanniques.
Tous les pays
précédemment cités sont des puissances
nucléaires, mais le traité de non
prolifération nucléaire (TNP) de 1968 n'a pas empêché d'autres pays comme
le Pakistan, Israël ou la Corée du Nord de se doter de cette capacité
militaire. Cependant ces Etats n'ont pas les moyens de projection des
précédents.
Thalassokrator : "maître des mers"
expression employée par l'historien Pierre Royer pour qualifier la
capacité des Etats-Unis à entretenir une maîtrise permanente de tous les
océans.
Conclusion : On observe donc que les
puissances majeures sont aussi des puissances navales. La combinaison de
capacités d'attaque, de projection et de dissuasion leur permet de défendre
leurs intérêts et d'étendre leur influence sur des zones plus ou moins vastes.
Il en résulte une hiérarchie des capacités. Mais celle-ci est loin d'être
immuable. Quand certains Etats émergent d'autres déclinent.