Un débat historique et ses implications politiques : les
causes de la Première Guerre mondiale.
Article 231 du traité
de Versailles: « Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît
que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de
toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et
associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée
par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés»
La Première Guerre mondiale a débuté dans le
café Bibent à Toulouse. C'est une boutade que
j'utilise souvent pour montrer la complexité en histoire de la question des
causes de la Grande Guerre. En
effet, se peut-il qu'un petit groupe d'étudiants provoque le premier conflit
mondial en complotant dans un café toulousain ? Un peu comme le papillon du
Brésil responsable d'une tornade au Texas (effet papillon de la théorie du
chaos), l'attentat de Sarajevo
aurait-il "conduit" l'Europe et le monde à s'embraser. On peut se
demander comment un événement ponctuel
a pu donner lieu à un conflit généralisé.
On peut s'interroger sur les causes
de la Première Guerre mondiale. On peut notamment se demander si
elle était prévisible, si elle était inéluctable
? L'Europe s'est elle mécaniquement
engagée dans la guerre par le jeu des
alliances et des déclarations de
guerre ? Peut-on déterminer des
responsabilités dans le déclenchement de ce conflit ? Si oui, lesquelles ?
Parmi, les belligérants, certains sont-ils plus responsables du conflit que
d'autres ?
I Rappel : l'engrenage
des causes...
a)
...s'inscrit dans un contexte de tensions
Au tournant des 19ème et 20ème siècle,
l'Europe et le monde sont marqués par de
profondes rivalités de puissance.
Elles se traduisent par de nombreux
conflits. Pour commencer, la guerre Franco-Prussienne (1870-1871) se solde par la création
d'un Etat Allemand autour de la Prusse.
Par le traité de Francfort de mai
1871, la France perd à l'occasion de ce conflit l'Alsace et une partie de la Lorraine. Elle n'aura de cesse
d'espérer une revanche pour
récupérer ces territoires revendiqués.
Les colonies deviennent le terrain
d'affrontement de ces puissances. En 1898, dans la crise de Fachoda, la France s'incline face aux revendications
britanniques. Par contre,elle tient tête à
l'Allemagne à l'occasion des deux crises
marocaines. En 1905, l'Allemagne intervient aux cotés des Marocains contre
l’ingérence Française, la France menace de déclarer la guerre à l’Allemagne
mais la crise est finalement résolue lors de la conférence d’Algésiras en avril
1906. Cinq ans plus tard, une seconde crise Franco- Allemande éclate au Maroc.
L’Allemagne proteste contre l’arrivée des Français à Fès et à Mekhnès. Le
conflit est à nouveau résolu lors de la conférence d’Agadir, le 4 novembre. Il
est décidé que les Allemands laissent la main libre aux Français contre une
partie du Congo. En Asie, la Russie perd
la guerre qui l'oppose au Japon en
1905. Son prestige est largement entamé par cette défaite. Au sud de
l'Europe, les Balkans deviennent une
véritable poudrière. En 1908, l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie.
Or, les peuples slaves de la région sont
alors nombreux à souhaiter leur indépendance et leur unité. Tandis que certains
Etats souhaitent profiter de l'affaiblissement
de l'Empire ottoman où en 1908, les "jeunes turcs" se sont
emparés du pouvoir. En 1912, une première guerre balkanique oppose la
Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro à l’Empire ottoman. Cette guerre
voit les Bulgares arriver aux portes d’Istanbul et débouche sur la
reconnaissances d’une Albanie indépendante. L’année suivante, une seconde guerre balkanique oppose la
Bulgarie à la Serbie, la Grèce et la Roumanie. Vaincue la Bulgarie perd des
territoires au bénéfice de ses adversaires et de l'Empire Ottoman.
b)
...où les principales puissances européennes préparent un éventuel conflit.
Elles se préparent
militairement. La France s'inquiète alors de son infériorité démographique
face à l'Allemagne. Il est vrai que de 1891 à 1911 la France n'est passée que
de 38 340 000 habitants à 39 600 000 soit une augmentation de 60 000 habitants
par an contre 500 000 pour l'Allemagne à la même période. En 1913 est donc
adoptée la loi des trois ans pour
étendre la durée du service militaire afin de compenser l'infériorité des
effectifs français. La France complète son armement avec le fusil Lebel et le canon de 75, tandis que les
usines Krupp développent en Allemagne le canon
de 77. Face aux capacités navales britanniques, les Allemands développent
la Hochseeflotte, la flotte de haute mer. Dans ces
conditions, chaque puissance est convaincue de sa supériorité militaire et
imagine que la guerre sera courte et
victorieuse.
Pour
se renforcer les puissances nouent des
alliances. En 1879, le rapprochement entre l'Allemagne et l'Autriche
Hongrie donne naissance à la Duplice.
Celle-ci est complétée en 1882 par la création de la Triplice avec l'Italie. En
conséquence, la Russie se sentant
menacée et la France se sentant isolée diplomatiquement, signent en 1893, l'Alliance franco-russe. Il est à noter cependant qu’en 1902,
l’Italie signe un accord secret avec la
France qui garantit à cette dernière la neutralité italienne en cas de conflit
franco-allemand. Par la suite, le recul de Fachoda permet à la France de signer
l'Entente Cordiale avec le
Royaume-Uni en 1904. En 1907, l’Accord
Anglo-russe scelle la Triple Entente associant la France, le Royaume-Uni et
la Russie.
c) Ces
conditions sont favorables à l'engrenage des déclarations de guerre.
Le
28 juin 1914, l’assassinat de l’archiduc
François-Ferdinand, héritier du trône des Habsbourg, par un nationaliste
Serbe bosniaque du nom de Princip entraîne l’Europe
dans un engrenage d’ultimatums et de
déclarations de guerre. Le 23 juillet 1914 : l’Autriche-Hongrie lance un ultimatum à la Serbie qui ne refuse
qu’un point en particulier : l’intervention de la police autrichienne sur le
sol Serbe. Le 28 juillet 1914 : l’Autriche-Hongrie attaque la Serbie à la
grande surprise des Français et des britanniques. Le 30 juillet, la Russie
mobilise. Le 31 juillet, l’Allemagne lance un ultimatum à la Russie et à la France. Le 1er août, l’Allemagne
attaque la Russie. Les maires de France sont alors avertis de la mobilisation
effective le dimanche 2 au soir. Le 3 août , l’Allemagne déclare la guerre à la
France et envahit le Luxembourg et la Belgique. Le 4 août, le Royaume-Uni
déclare la guerre à l’Allemagne. Le 5 août,
c’est au tour de l’Autriche-Hongrie de déclarer la guerre à la Russie. Le 20
août, le Japon entre dans le conflit aux côtés de l’Entente. Le 29 novembre,
l’Empire Ottoman entre en guerre aux côtés de la Triple Alliance.
Ultimatum : déclaration par laquelle un État somme un autre État de satisfaire
ses exigences dans un délai donné, faute de quoi, il lui déclarera la guerre.
II Le crible des responsabilités.
a)
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, l'Allemagne est tenue pour
responsable du conflit.
L'article
231
du traité de Versailles signé le 28
juin 1919 stipule que " l'Allemagne
et ses alliés sont responsables"
des causes et des conséquences de la guerre. Ceci implique qu'elle doit
des réparations estimées dans un
premier temps à 132 milliards de marks-or. En 1925, l'historien français Pierre
Renouvin s'appuie sur des documents diplomatiques
pour démontrer dans son livre Les origines immédiates de la guerre que
l'Allemagne n'a rien fait pour empêcher
l'escalade dans laquelle
l'Autriche-Hongrie s'est engagée en juillet 1914. Plus tard, en 1961, un
historien allemand, Fritz Fischer, lui-même ancien-nazi, développe dans
son ouvrage La quête du
pouvoir mondial ou Les Buts de guerre de l'Allemagne impériale (Titre de la version française), la thèse selon laquelle les responsabilités de l'Allemagne dans le conflit sont
grandes. Selon lui, les Empereurs allemands et leurs chanceliers successifs
comme Bismarck auraient, au nom de la weltpolitik,
cherché à affirmer la puissance allemande de façon agressive en Europe et dans
le monde. Cette thèse fit beaucoup de bruit en Allemagne parce qu'elle
inscrivait l'impérialisme allemand du 19ème siècle à 1945 dans une
forme de continuité. Hitler ne serait
alors que le successeur de Bismarck
dans sa volonté de puissance. Le
pangermanisme nazi ne serait qu'une nouvelle version de la weltpolitik de
Guillaume II.
Weltpolitik : doctrine politique de Guillaume II destinée à faire de l'Allemagne une puissance militaire, politique et territoriale à la hauteur de ses capacités économiques.
b)
Mais des voix se sont aussi élevées pour dire que les responsabilités sont
partagées.
Dès 1914, Lénine dans un texte intitulé La Guerre et la social-démocratie russe, considère que le capitalisme impérialiste de tous les
pays industrialisés devait naturellement aboutir à une guerre. A ses yeux,
les puissances économiques libérales du moment voyaient dans le conflit
l'occasion de satisfaire leurs convoitises. Ce à quoi les détracteurs de Lénine
répondent que dans un contexte où les économies étaient déjà interdépendantes,
les milieux d'affaire n'avaient aucun intérêt à déclencher un conflit mondial.
Toujours
sur le plan économique, dès 1919, John Maynard Keynes qui avait
participé aux négociations du traité de Versailles publie Les conséquences économiques de la paix où il dénonce le poids des réparations imposées à l'Allemagne. Il
ne revient pas sur la question des responsabilités mais il considère que
l'Allemagne ne peut s'en remettre économiquement et que le traité peut favoriser
le ressentiment allemand. Il est vrai que les nazis ont largement utilisé le
thème du "diktat de Versailles"
pour s'attirer des sympathies dans l'opinion publique allemande.
Dans
les années 1920-1930, dans le contexte d'un développement des thèses pacifistes
et d'un relatif rapprochement entre la France et l'Allemagne, des historiens et
des responsables politiques considèrent que les responsabilités sont plus partagées. Par exemple, en 1935,
l'historien français Jules Isaac pense que la France n'a rien fait
auprès de la Russie pour empêcher le conflit même si les Allemands en sont les
premiers responsables. En 1934, l’ancien premier ministre britannique Lloyd
George publie ses mémoires de guerre. Il relativise la responsabilité
allemande en considérant que l'ensemble des Etats ont été pris comme
mécaniquement dans le piège de l'engrenage des déclarations de guerre.
Plus
récemment en 2013, l'historien australien Christopher Clark, fort de sa
maîtrise d'un grand nombre de langues a cherché à démontrer dans son livre Les Somnambules que les responsabilités
de la France, de la Russie et de la Serbie sont plus grandes qu'il n'y parait.
Il insiste en particulier sur l'attitude agressive
de la Serbie, qui, soucieuse de créer un grand Etat panslave (la future
Yougoslavie), a laissé se détériorer la situation pour obtenir une guerre qui
lui serait favorable. Il considère par exemple que le gouvernement serbe
connaissait la préparation du projet terroriste de la Main noire contre l'Archiduc François-Ferdinand.
Conclusion
:
C'est avec le recul du temps que nous pouvons affirmer qu'à l'été 1914, les
conditions sont réunies pour un embrasement général. A l'époque, certaines
chancelleries pourtant très impliquées dans l'engrenage des déclarations de
guerre sont elles-mêmes surprises par l'enchainement des faits. Pourtant,
depuis des années, les puissances européennes se préparent à un affrontement.
Elles croient toutes que la guerre sera courte et que son issue leur sera
favorable. Le conflit n'a rien d'inéluctable mais aucune puissance ne fait
vraiment tout pour l'empêcher. Nombreuses sont celles qui l'acceptent. A ce
stade de l'analyse, il apparaît que l'Allemagne souhaite certainement la guerre
et ne fait rien pour l'empêcher. Mais elle n'est pas la seule. L'Autriche veut
se venger, la France tient sa revanche, la Russie à l'occasion de redorer son
prestige, la Serbie veut créer un vaste Etat slave. Ceci explique comment un
attentat commis par une organisation clandestine a pu dégénérer en conflit
mondial. Pour l'anecdote, c'est parce que le chauffeur de François-Ferdinand
s'est trompé de route que Gavrilo Princip
a pu assassiner le couple impérial. Voila comment se fait l'Histoire. Rien
n'est écrit d'avance. Souvent le hasard rencontre sur son chemin des courants
plus profonds. Voilà comment naissent les événements, les guerres, les
révolutions, des contre-révolutions, les régimes, les fléaux, les anecdotes,
.....