Les frises du Parthénon (ou frises des Panathénées) : un exemple de conflit patrimonial

 

En mai 2023, un musée Autrichien a annoncé le retour à Athènes de deux fragments des frises du  Parthénon qu’il conservait. Le gouvernement grec espère que ce geste va contribuer à faire pression sur le gouvernement britannique afin qu’il restitue le reste des ces frises exposées au British Muséum à Londres.

 

Pourquoi cette œuvre n’est elle pas exposée en Grèce ?  Pourquoi est-elle l’enjeu d’un litige entre la Grèce et le Royaume-Uni ? Que dit ce conflit des conceptions divergentes du patrimoine mises en avant par les acteurs de cette querelle ? Est-il représentatif des différends autour de biens culturels dans le monde ?

 

I Une œuvre qui ne laisse pas de marbre.

a)     Un bien représentatif de l’héritage grec…

Vestige du prestigieux siècle de Périclès, le Vème siècle avant JC, la frise sculptée sous la direction de Phidias entre 447 et 432 avant JC, couronne le Parthénon. Elle représente la procession de Panathénées qui avait lieu tous les quatre ans en l’honneur de la déesse Athéna protectrice d’Athènes. Y figurent 378 personnages et  245 animaux. Elle mesure 160 m de long sur un mètre de haut. Quand la Grèce est christianisée à partir du IVe siècle après JC, le Parthénon est  transformé en église en 550. En 1456, Athènes tombe aux mains des Turcs. Une mosquée est alors érigée dans le Parthénon.

b)     …rapidement convoité

En 1687, pendant la Guerre de Morée qui oppose la République de Venise à l’Empire Ottoman, les Vénitiens assiègent l’Acropole et bombardent le Parthénon. Une pièce de marbre de 24 cm de haut sur 25 de large représentant la tête d’un jeune homme participant aux Panathénées est détachée de la frise. Elle est acquise au début du XIXème siècle par un consul britannique en Sicile. Sa femme l’offre au Vatican en 1804. Précédemment Louis-François-Sébastien Fauvel, travaillant  pour l’ambassadeur français dans l’Empire ottoman récupère deux pièces en 1788 et 1798. Elles sont aujourd’hui au Louvre à Paris.

En 1801, l’ambassadeur britannique, lord Elgin obtient du sultan Selim, un firman lui donnant le droit de démonter les marbres du Parthénon et d’enlever les sculptures. Les « artistes » qui travaillent pour lui emportent ainsi  60% de ce qui restait  de la frise, soit 156 plaques et 13 métopes (panneau architectural de forme rectangulaire). Ces éléments sont alors transportés dans 200 caisses. En 1816, Elgin les vend au gouvernement britannique qui les cède à perpétuité au British Muséum. A l’époque, le chantre du philhellénisme, le poète britannique lord Byron, traite Elgin de pillard.

 

Firman : décret royal dans l’empire ottoman

Philhellénisme : attachement à l’indépendance nationale de la Grèce au XIXème siècle face à l’Empire ottoman et , plus généralement , à la culture et au passé grecs.

 

II Chronologie d’un litige autour d’une frise de pierre.

a)     Les arguments  britanniques

Dès le 19ème siècle, lord Elgin justifie son geste en prétendant que les grecs étaient indifférents à la conservation de ce trésor architectural. A la suite de l’indépendance de la Grèce en 1830, une première phase de négociation est engagée entre les Britanniques et le roi de Grèce Othon 1er  entre 1834 et 1842. Le gouvernement anglais estime alors que les frises ont été achetées légalement.  A partir du 20ème siècle, il prétend  que la Grèce manquerait de moyens financiers pour conserver ce qu’il qualifie de « marbres d’Elgin » dans de bonnes conditions. Désormais, le British Muséum met en avant l’idée qu’il est le seul à même de présenter correctement cette œuvre qu’il considère comme un bien public, un élément du patrimoine mondial. A ce titre, selon lui, les marbres  doivent être considérés comme la propriété de tous et non de la seule Grèce. Dans cette logique, l’ancien premier ministre Britannique Boris Johnson propose même que le British Muséum monte une exposition itinérante pour présenter les frises au public du monde entier.

 

 Bien public : bien dont chaque individu peut disposer librement , sans monopole ni propriété privée.

 

b)     Les arguments grecs. 

Dès son accession à l’indépendance en 1830, le gouvernement grec demande le retour des marbres. Il met en avant l’importance majeure de ces pièces pour le patrimoine grec. Il considère que les tractations avec les autorités ottomanes qui ont permis l’enlèvement des frises n’ont  aucune légitimité. Plus tard, en 1983, à la tribune de l’Unesco, la ministre de la Culture  grecque Mélina Mercouri lance une vaste campagne internationale pour récupérer les marbres. Elle reprend  alors les arguments précédents.  Elle insiste sur l’idée que cette œuvre est constitutive de l’identité grecque, de la mémoire de la nation. Cette conception du patrimoine met en avant l’ancrage territorial du patrimoine. La ministre grecque insiste aussi alors sur les dégradations réalisées au moment de leur enlèvement. Pour les Grecs d’ailleurs, l’absence des marbres porte atteinte à la cohérence esthétique du Parthénon.  Elle considère qu’il s’agit donc d’une spoliation et qu’à ce titre la détention de cette œuvre par le British Muséum est « injuste et immorale ».

En 2006, la Grèce récupère un marbre restitué par le musée archéologique d’Heidelberg. La même année le Vatican fait la promesse d’en faire autant avec sa pièce, de même que l’Autriche. En 2009, est inauguré un nouveau musée de l’Acropole face au Parthénon.  D’une superficie de 14 000 m², organisé sur trois niveaux, il est destiné à accueillir les marbres. L’argument britannique des conditions de conservation ne semble plus tenir. En 2017, le recours de la Grèce auprès de la Commission européenne  pour la « restitution des biens ayant quitté illégalement » un pays de l’Union est rejeté. En 2022 le Musée de Palerme en Italie, restitue le pied de la déesse Artemis. Mais aujourd’hui encore le gouvernement Grec réclame au gouvernement  britannique les frises du Parthénon.

 

c)     D’autres exemples.

Les frises du Parthénon ne sont pas les seuls biens culturels qui ne sont pas exposés dans leur lieu d’origine. L’Egypte réclame encore au British Muséum la pierre de Rosette conservée au Royaume Uni depuis 1802.  La France possède dans ses musées notamment dans celui du Quai Branly à Paris de nombreuses œuvres prises dans les territoires qui étaient sous sa tutelle coloniale. Comme pour les frises du Parthénon, pour s’opposer à leurs restitutions,  les anciennes puissances coloniales et économiques mettent en avant leurs compétences en matière de conservation des oeuvres. Cependant, tout de même, le 23 novembre 2018, le président E. Macron a décidé de rendre 26 œuvres d’art prises de l’armée française en 1892  au Bénin. C’est peut-être le début d’un mouvement plus général de restitutions.

 

Spoliation : fait de dépouiller, de voler un bien.

 

Conclusion : Les frises du Parthénon ne sont plus en Grèce parce qu’au début du 19ème siècle, le Royaume Uni était suffisamment puissant pour les acquérir et les conserver. Les conflits patrimoniaux sont donc  le reflet des rapports de puissances qui opposent des Etats à différentes époques. Dans la première moitié du 19ème siècle, la jeune nation Grecque ne pesait que peu de poids face à l’hégémon britannique de l’époque. Malgré tout, la Grèce s’est  identifiée à ce bien culturel, voyant en lui le reflet de l’antique splendeur athénienne. L’exemple des frises du Parthénon illustre donc la valeur identitaire de certains biens culturels. Ces objets du patrimoine contribuent à la construction des identités nationales et ce, parfois, de façon conflictuelle.