Réaménager la mémoire : les usages de Versailles de l’Empire à nos jours
«Versailles a été construit pour la mise en scène du pouvoir. Dès
l'origine, ces bâtiments ont été une base physique pour renvoyer une image.
C'est la galerie des glaces. Versailles, c'est de l'image», Denis Berthomier, administrateur général de Versailles en 2009.
Le 25/12/2023, la télévision
diffusait le concert que donnait Jean-Michel Jarre dans la galerie des Glaces à
l’occasion des 400 ans du château de Versailles (1624- Louis III fait bâtir un
pavillon de chasse). Le lieu choisi n’est pas sans rappeler que dès
les origines, le château royal était un instrument politique au service de la
puissance du roi Louis XIV. D’abord, celui-ci souhaitait contrôler à Versailles la noblesse dangereuse pour son
pouvoir (souvenir de la Fronde). Ensuite en présentant une galerie des glaces parée
de 357 miroirs, il souhaitait remettre
en cause le monopole technologique vénitien dans ce domaine (51
min). Il voulait donc montrer au reste du monde les capacités techniques de son
royaume.
Depuis les usages politiques et sociaux de Versailles et
de son patrimoine ont-ils changé ? Ce patrimoine prestigieux est-il
toujours utiliser pour le rayonnement et la puissance de la France ?
I De
l’Empire à la III ème République, Versailles face aux
tentations monarchiques. (1804-1871)
a) Sous
l’Empire
Contrairement à ce que l’on
aurait pu imaginer, durant la Révolution Française, le château de Versailles est globalement préservé. Mais le mobilier est dispersé
en 1793. Sous le premier Empire, Napoléon
fait aménager le Grand Trianon en tant que résidence secondaire. Avec
l’Empire en 1804, il rétablit une forme de monarchie autoritaire et héréditaire
mais il ne s’installe pas à Versailles
considéré comme un symbole monarchique. En 1806, il lance cependant des travaux de restauration. Il en fait
déjà un outil diplomatique au
service du rayonnement français puisqu’en 1807 il y invite la reine de
Westphalie et en 1809, Frédéric-Auguste 1er de Saxe.
b)
Sous la Restauration.
L’entreprise de protection
patrimoniale de Versailles est poursuivie malgré le changement de régime sous
Louis XVIII et Charles X. Sous la Monarchie de Juillet, Louis Philippe d’Orléans en fait un
musée d’histoire de France en 1837 dédié
à toutes les gloires de la France. C’est le début de la muséification de Versailles. Parmi les
œuvres choisies, beaucoup exaltent les victoires françaises passées. Il s’agit pour lui de réaffirmer la puissance de la France après la défaite napoléonienne
de Waterloo. C’est aussi une façon de légitimer
son pouvoir. On a là un exemple d’instrumentalisation
politique du patrimoine.
Muséification :
transformation d’un lieu en musée. Il s’agit d’en faire un objet patrimonial et
d’en assure la conservation. Le terme peut prendre caractère péjoratif quand le
site peut avoir une vocation plus actuelle.
c) Sous
le Second Empire.
Napoléon III utilise lui aussi le prestige de Versailles
puisqu’il y organise en 1855, une réception en l’honneur de la reine
d’Angleterre Victoria. Mais à la suite de sa défaite face aux Prussiens en 1870,
c’est dans la galerie des Glaces qu’en 1871, l’Empire Allemand est proclamé.
II
Quand Versailles devint
un château « républicain » (1871-1958)
a) Versailles :
un palais de la République depuis 1871.
En 1870, à la suite de la
chute de Napoléon III, la République est
proclamée. L’Assemblée nationale
s’installe à Versailles. D’où le terme de « Versaillais » utilisé
pour désigner ceux qui répriment sévèrement la Commune de Paris, ce mouvement révolutionnaire aux aspirations
socialistes. Il faut attendre 1875 pour
que soient établies les institutions de toute nouvelle République Française, la
troisième du nom. La même année est construite à Versailles, la salle
du Congrès qui accueille les membres du Sénat et de la Chambre des députés, quand ils sont
réunis en Assemblée nationale, selon l’expression de l’époque. C’était alors
dans cette salle que l’Assemblée
Nationale élisait le président de la République au suffrage indirect et
modifiait la constitution. Paradoxalement, à la fin du XIXe siècle et au début
du XXème siècle, Versailles est donc un haut lieu républicain.
b) Un outil
géopolitique
Sous les Troisième et Quatrième Républiques, de 1870 à 1958, douze visites officielles
eurent pour décor le château de Versailles. A la fin de la Première Guerre mondiale, c’est dans un esprit de
revanche que Georges Clémenceau fait signer le traité qui impose la paix à l’Allemagne. Mais après le conflit, le
château de Versailles est négligé. Mais
John D. Rockefeller, un industriel américain, décide de mener une mission de
sauvetage et va financer ces travaux entre 1924 et en 1927. Il effectue deux
donations majeures qui permettent de refaire la toiture du Château et de
restaurer le Petit Trianon et son hameau. C’est le début du mécénat privé destiné à entretenir,
conserver et protéger Versailles. Il s’inscrit dans la logique de la
philanthropie américaine.
Mécénat :
« soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du
bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour
l'exercice d'activités présentant un intérêt général." (la
loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations)
III
Vème République et les ors de la monarchie (1958-nos jours)
a) Comment
Versailles a séduit le monde ?
« Versailles
a été la page la plus glorieuse d’une civilisation à jamais disparue », G.
van der Kemp
En 1952, André Cornu,
secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, lance une
souscription nationale afin de réunir cinq milliards de francs pour restaurer
le château de Versailles. En 1953, Gérald Van der Kemp devient le
conservateur de Versailles. Jusqu’en 1980,
Il s’impose alors comme l’
« ambassadeur » du monument dans le monde entier. Il fait le
succès de Versailles auprès de mécènes venus
de tous les horizons. Le monde politique, culturel et artistique s’intéresse à
nouveau au château.
b) De
Gaulle utilise le château pour sa politique internationale.
Sous
la Ve République, Charles de Gaulle redonne au château
une place importante au sein de l’État Français. Conformément à la constitution de la Vème
République, c’est toujours à Versailles
que le parlement se réunit en Congrès, pour modifier éventuellement la
constitution. De Gaulle y reçoit plusieurs hauts dirigeants
comme les présidents américains John F. Kennedy ou encore Richard Nixon. En 10 ans, ce sont 11
invités prestigieux qui y sont accueillis. Il fait même du grand Trianon le lieu de résidence des chefs d’État étrangers.
Sous son mandat, d’importants travaux furent réalisés sous la supervision de
son ministre de la culture, André Malraux. En 1962, le décret Debré permet le retour à
Versailles de tous les objets du château conservés dans les collections
publiques nationales. C’est le début du remeublement de Versailles.
Remeublement :
terme de conservation patrimoniale désignant la recherche dans les collections
nationales et privées des éléments mobiliers dispersés afin de reconstituer
l’état originel du château.
c) Les
usages politiques du château par les successeurs de De
Gaulle
Les successeurs de De Gaulle font également de Versailles un instrument de la
diplomatie française. Certes François
Mitterrand, l’utilise moins craignant
peut-être de se voir associer à ce symbole monarchique. Néanmoins, le château
accueille le sommet du G7 en 1982 à sa demande.
En 2007, Nicolas Sarkozy y reçoit le dictateur libyen Mouhammar Kadhafi En 2014, c’est au tour de François
Hollande d’y accueillir Xi,Jinping.
Le 29 mai 2017, Emmanuel Macron
reçoit son homologue Russe à Versailles.
Mais en mars 2022, ce dernier y réunit les 27 chefs d’Etats de l’Union
Européenne pour élaborer un ensemble de sanctions communes contre la Russie
après l’invasion de l’Ukraine.
Sur le plan institutionnel, depuis la modification de la
constitution voulue par Nicolas Sarkozy en 2008, c’est à Versailles que le
président convoque annuellement les parlementaires pour une présentation de sa
politique.
d) Enjeux
culturels et économiques.
« Avec Louis
XIV, Marie-Antoinette et Napoléon, Versailles a le tiercé gagnant des
personnalités historiques internationalement connues. C'est le site le plus
magique et le plus copié, qui coche toutes les cases : le symbolique,
l'historique, l'esthétique. » Olivier Gabet,
directeur du Musée des arts décoratifs.
En 1979, le château est classé au patrimoine mondial de l’humanité ce qui
contribue à accroitre son prestige international. En 2003-2020, est réalisé le
programme « Grand Versailles »
destiné à valoriser le patrimoine et à répondre à la demande touristique qui ne
cesse de s’accroitre. La fréquentation a
atteint les 6.9 millions de visiteurs en 2022. Le château est également consacré à des
expositions événementielles notamment d’art contemporain.
Mais l’ensemble de ces
activités coute cher. Les recettes du
Versailles dépendent donc de fonds publics à hauteur de 54% et de fonds propres (46%) qui
rassemblent entre autre la billetterie (30%) le mécénat (mécénat dons et legs –
8%) et la valorisation du domaine (locations d’espaces, loyers) 5%. (sources :https://www.chateauversailles.fr/sites/default/files/versailles-ra2022-270723.pdf)
Aujourd’hui encore donc le mécénat est très important pour le
château. En 1999 après la terrible tempête, il a contribué à restaurer le
parc du château. De nombreuses
entreprises de luxe souhaitent associer leurs marques à l’image du château.
Entre 2012 et 2018, les marques de luxe ont apporté
19,38 % du mécénat de l'établissement. Le reste a été pris
en charge par des donateurs venus de l'industrie, de la
banque ou de l'immobilier, comme la Fondation Philanthropia,
créée par la banque Lombard Odier, Renault, Emerige, Engie...Les mécènes et
les donateurs bénéficient d’avantages fiscaux pour leurs gestes. Mais ces contributions privées ne vont pas
sans poser quelques interrogations. Certains voient dans la privatisation des
espaces une atteinte au principe de patrimoine national. Certains des événements organisés à
Versailles ont donné lieu à des polémiques. Ce fut le cas au moment des expositions Jeff Koons
ou d’Anish Kapoor. Ce fut aussi le cas, lorsque le patron de Renault-Nissan y a
célébré une fête en 2014 dans le contexte de son anniversaire. Le fait que
cette manifestation soit financée par la firme automobile est encore étudié par
la justice.
Conclusion :
Dès le Second Empire, le château de Versailles est protégé par l’Etat. Il
s’inscrit ainsi dans le patrimoine national que ce soit sous les Empires, sous
la Restauration ou encore à partir de la IIIe
République. De plusieurs façons, il
contribue à la puissance française. Il participe au rayonnement culturel du
pays dans le monde. Les recettes touristiques générées par le site contribuent
au PIB national. Par ailleurs, il est le cadre de rencontres diplomatiques qui
confortent l’influence politique de la France dans le monde. Le château de
Versailles est donc certainement l’un des atouts du soft power français, cette capacité à influencer les autres
nations sans avoir à recourir à la contrainte armée.