La patrimonialisation, entre héritage culturel et reconversion. Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

                               Au début du XVIIIe siècle, est découvert le premier gisement de charbon français dans la proximité de Valencienne. C’est l’origine du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Celui-ci correspond à la partie française du filon qui court de l’Angleterre à l’Allemagne en passant par la Belgique. Ce bassin, s’étend sur 120 kilomètres de long et 12 km de large, soit 1 200 kilomètres carrés. Cependant, en 1990, ferme la dernière mine de charbon française.

                               L’activité minière a donc durablement marqué la population et les paysages locaux. Dans ces conditions, le patrimoine minier mérite-t-il d’être protégé et valorisé ?  si oui, comment ?

I Un espace économique…

a)             …qui dès les origines

En 1717, le premier gisement est découvert à Fresnes-sur-Escaut. En 1757 est créée la compagnie des mines d’Anzin. Elle qui en assure l’exploitation. C’est la plus ancienne de grandes compagnies du Nord. Mais d’autres sont créés par la suite comme la compagnie des mines de Lens en 1852. Dès lors, l’exploitation minière ne cesse de se développer. En 1914, le bassin du Nord-Pas-de-Calais produit les 2/3 du charbon français. En 1946, l’ensemble des entreprises de production charbonnière est nationalisé dans la lignée des décisions prises par le Conseil National de la Résistance en 1945. Les Charbonnages de France sont donc créés. Le mineur est alors comme le héros  de l’après-guerre chargé de satisfaire les besoins de la France à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

 

b)             …a durablement marqué le paysage et les esprits

Le bassin minier est implanté sur ce qui était autrefois une vaste plaine agricole. Cette activité économique a durablement modelé le paysage du « pays noir ». Celui-ci  a évolué au gré des progrès technologiques, des découvertes de gisements, de leur tarissement. Il est marqué par la présence d’infrastructures de transports (canaux, chemins de fer) et de bâtiments industriels liés à l’extraction (carreaux de fosses, chevalements, lavoirs). La topographie locale a également été modifiée avec la formation de terrils et d’étangs d’affaissement. Des équipements ont été créés pour satisfaire les besoins de l’activité (sièges des compagnies, châteaux des dirigeants, églises, écoles, gares, hôtels de ville, hôpitaux, etc.). Différentes formes d’habitat ouvrier sont créées (corons, cités jardins, cités modernes). Elles deviennent caractéristiques de la région. Il convient de noter également que toute une identité culturelle s’est développée autour de cette activité avec son parler, son mode de vie, ses traditions.

 

Chevalement : tour au dessus du puits  qui permet de faire descendre et remonter les mineurs, le matériel et le charbon.

Terril : colline formée par les déchets de l’extraction.

Fosse : puits de mine

Lavoir : bâtiment destiné au lavage du minerai pour n’en laissé que le combustible.

Carreau de mine : parcelle de terrain où se trouvent les installations de surface pour l’extraction.

Cavalier : nom donné au réseau de voie ferré des compagnies minières.

 

c)             avant que ne cesse l’activité.

Dès les années 50, on assiste cependant à une baisse de la demande de charbon. En 1960, le plan Jeanneney du nom du ministre de l’énergie de l’époque, préconise une réduction de la production de charbon. En dépit de la grève nationale des mineurs de 34 jours en 1963, le Plan Bettencourt en 1968, programme la fin des mines. En décembre 1990, ferme le dernier puits de mine à Oignies. Le paysage reste marqué par des friches industrielles, reliquat de l’activité minière.

 

Friches industrielles : terrains qui ont perdu leur fonction industrielle et sont à l’abandon

II … transformé en patrimoine…

a)             Passé le temps, de la prise de conscience et des premières démarches

Dans un premier temps, ce patrimoine industriel minier est ignoré voire méprisé. Sa reconnaissance est plutôt tardive. Elle est liée à la mobilisation d’anciens mineurs, d’érudits locaux. Les premiers musées de la mine sont créés dans les années 70. C’est la cas de celui de Escaudain en1978. En 1984 est ouvert le Centre Historique Minier à Lewarde. En 1989 est créée la chaîne des terrils.

 

b)             ..est préparée  la candidature au patrimoine mondial de l’Unesco.

Avec une partie de la population locale, un certain nombre d’élus comme Pierre Mauroy, considèrent que le patrimoine des mineurs vaut le patrimoine des rois.  C’est dans ce contexte qu’en 1990 nait l’association Bassin minier uni (BMU). La même année 5 grands sites miniers sont classés à l’inventaire national. En 2000 est créée Mission bassin minier. À partir de 2002, à l’initiative de l’association Bassin minier uni, l’étude du patrimoine minier mobilise des spécialistes et les collectivités territoriales. L’objectif est de faire inscrire le bassin au patrimoine mondial de l’Unesco. Pendant cinq ans, un important inventaire architectural, urbain et paysager est réalisé. Dès  2003, le projet de candidature au patrimoine mondial de l’Unesco est lancé. En 2009-2010, le ministère de la culture procède au classement de 69 biens du bassin minier aux monuments historiques. Sur le plan national, le patrimoine minier est donc reconnu.

 

Patrimoine industriel : bâtiments, objets et paysages relatifs à une activité industrielle et permettant d’en comprendre les techniques, les savoir-faire et les modes de vie.

 

c)             Le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO

En 2010, la candidature du Bassin minier du Nord –Pas-de Calais, au patrimoine mondial de l’Unesco est déposée. En 2012, il est finalement inscrit sur la liste du patrimoine mondial au titre du « paysage culturel évolutif et vivant ». Cela concerne plus de 4 000 hectares et 28 000 bâtiments du bassin minier. Dès le début, ce classement est pensé comme un moyen de résilience pour le territoire.

 

Paysage culturel évolutif vivant : paysage reconnu comme la trace toujours vivante de l’empreinte humaine sur la nature en relation avec une économie, un mode de vie et des interactions sociales.

III …désormais valorisé.

a)             Entre muséification …

A partir des années 90, la culture originellement considérée comme un luxe devient un instrument de développement territorial. Plusieurs sites font l’objet d’un processus de muséification qui cherche à figer le souvenir de l’activité minière. On peut citer le cas de la base 11/9 de Loss-en-Gohelle, dont  les deux terrils sont considérés comme les deux plus hauts d’Europe. On peut évoquer également le centre historique de Leward qui permet aux visiteurs de comprendre le quotidien du mineur. L’offre culturelle est ainsi  renouvelée dans la région.

 

b)             …et reconversion.

 

Dès 1996, est créée la base de Loisir de Loisinor  sur le site d’un ancien terril de Noeux-les-Mines. On peut y pratiquer les sports de glisse.  En 2017,  l’Etat prend « [un] engagement pour le renouvellement du bassin minier » Il s’agit  « d’accomplir la métamorphose du territoire en 10 ans ». L’aménagement du territoire est repensé pour revivifier économiquement le secteur en diversifiant ses activités. A Loos en Gohelle, l’ancien carreau de mine est transformé en scène de spectacle et en pépinière d’entreprises liées au développement durable.  Le site de Wallers-Arenberg où fut filmé Germinal est transformé en site innovant. C’est désormais un pôle d’excellence en images et médias numériques. Mais un parcours patrimonial historique y est également proposé. En 2012 est inauguré Le Louvre- Lens. Il est implanté sur la fosse 9-9 bis. Il s’agit d’un exemple de reconversion d’un lieu symbolique de l’héritage minier en haut lieu culturel.

 

c)             , la valorisation suscite quelques débats

Sur plusieurs sites le débat porte sur la compatibilité entre l’entretien de la mémoire du passé minier et la valorisation économique des lieux. Par exemple, le Louvre-Lens a été construit sur un site qui avait été déjà partiellement détruit en 1983. La création du nouveau musée a entraîné la disparition des derniers bâtiments vestiges de l’exploitation minière. A Wallers-Arenberg, l’association des Amis de Germinal a craint à l’origine du projet qu’une telle reconversion ne trahisse la valeur patrimoniale du site.

Ce dernier exemple, pose la question de la rentabilité de ces reconversions. Dans le cas, du site de Wallers-Arenberg, le bilan est plutôt encourageant. Il contribue à faire de la région une région de cinéma  mais l’offre touristique peut encore être améliorée en relation avec le numérique et la pépinière d’entreprises reste à construire au nord du site. Dans le cas du Louvre-Lens, les retombées économiques sont moins importantes qu’attendu. Sur les 500 000  visiteurs par an 100 000 sont des scolaires. 70%  de celles et ceux qui fréquentent  le musée sont issus de la région. Le tourisme étranger ne s’est donc pas développé malgré les efforts faits dans le domaine de l’hôtellerie. Les créations d’emplois sont moins nombreuses qu’espéré.

 

Conclusion : le bassin minier du Nord-Pas-de Calais illustre donc bien les phases d’un processus de patrimonialisation qui va de l’identification à la valorisation en passant par la protection. Il est aussi le reflet de la tendance à la diversification du patrimoine avec le classement de cet héritage minier au patrimoine mondial. Enfin les expériences de valorisation montrent qu’il demeure des tensions entre un risque d’effacement de la mémoire minière et une survalorisation des vestiges miniers.