L’homme et l’environnement, exploiter et protéger une ressource « naturelle » : la forêt française depuis Colbert.

« La France périra faute de bois » disait Jean-Baptiste Colbert en 1660. Il décrivait alors l’importance stratégique de cette ressource à l’heure où la France était en guerre contre ses voisins. C’est le moment également où le ministre de Louis XIV souhaitait faire également du pays une puissance maritime. La forêt est considérée par la FAO (ONU) comme une superficie de plus de 0.5 hectare présentant des arbres d’une hauteur supérieure à 5 m et un couvert forestier de plus de 10%. Aujourd’hui, la forêt française couvre 31% du territoire. C’est, au même titre que les humains, un élément de l’environnement. Cette dernière expression peut être définie de différentes façons. Pour Yvette Veyret, spécialiste de la géographie des risques naturels, ce mot désigne « les relations d'interdépendance complexes existant entre l'homme, les sociétés et les composantes physiques, chimiques, [biologiques] d'une nature anthropisée ». En résumé, c’est l’ensemble  formé  d'éléments naturels (biotopes et biocénose) et sociaux-économiques en interaction. Dans ce préambule, il convient de noter que la préservation désigne un aspect particulier de la protection de l’environnement. Il s’agit en effet d’une défense de l'environnement qui cherche à protéger la nature de toute action de l'homme, dans une optique biocentrique. La préservation se distingue de la conservation qui cherche à protéger la nature dans le but d'en préserver les ressources pour une exploitation future dans une logique anthropocentrique. Cette logique reste donc centrée sur les besoins humains.

            Une fois ces termes éclaircis, on peut donc se demander quelles sont les relations que les sociétés humaines entretiennent avec la forêt. 

            Dans une approche anthropologique et thématique, on peut démonter que, dans leur rapport à la forêt, les sociétés humaines cherchent constamment à en exploiter les ressources pour satisfaire leurs besoins. Mais celles-ci prennent également très tôt conscience de la nécessité de la conserver. Pour cela, elles réglementent son exploitation, elle codifie sa gestion. Il s’agit d’éviter des dégradations qui pourraient compromettre leur utilisation future. Cependant, il apparaît de plus en plus que la forêt est menacée. Des dispositifs sont donc mis en œuvre pour la préserver,  c’est-à-dire pour la protéger pour elle-même, pour limiter au maximum l’impact que pourrait avoir les activités humaines sur elle.

I Exploiter les ressources de la forêt.

            Les sociétés humaines ont besoin des ressources de la forêt pour satisfaire leurs besoins. On désigne par ressources l’ensemble des éléments naturels présents dans le milieu permettent aux hommes de satisfaire leurs besoins. En France, comme ailleurs dans le monde, la forêt française est une ressource depuis le paléolithique. On y chassait, on y cueillait de quoi se nourrir. Dès le néolithique, on observe une transformation du milieu. La révolution néolithique ou âge de la « pierre nouvelle » est le passage, il y a près de 10 000 ans, de la chasse et de la cueillette qui caractérisaient les activités humaines jusqu’au  paléolithique, à l'agriculture et à l'élevage. Désormais les archéologues comme Jean Guilaine ou Jean-Paul Démoule préfèrent utiliser l’expression « néolithisation » qui exprime mieux une transformation  lente et discontinue. Or on constate que dès le néolithique, l’exploitation des espaces forestiers a eu un impact sur l’environnement. Ainsi les mises en cultures se sont faites au détriment de la forêt primaire. On assiste alors à une première anthropisation puisque les milieux connaissent une transformation sous l'action directe ou indirecte de l'homme.

            Par la suite, l’utilisation de la forêt s’est poursuivie. A titre d’exemple, il est possible de faire  une liste des usages de la forêt que se partageaient seigneurs et communautés villageoises depuis le Moyen-âge. Ces dernières pouvaient pratiquer l’affouage, le maronage, le pâturage (pacage) ou la glandée. L’affouage désigne le ramassage du bois mort. Le maronage permet d’utiliser le bois pour la construction. Le pacage autorise le pâturage des troupeaux de vaches, de chèvres ou de moutons dans les bois.  La glandée permettait de nourrir les porcs.

            Il peut être intéressant de présenter aussi le cas de la forêt des Landes. Dès la fin du 18ème siècle des expériences avaient été menées pour assécher les marais malsains des landes de Gascogne et retenir les dunes entre le Pyla et Arcachon au moyen de pins maritimes. Ces expériences  ayant été couronnées de succès une première exploitation sur 700 000 ha fut lancée en 1850. En 1857, sous le Second Empire, une loi  obligeât les communes à assainir ainsi les terrains et à ensemencer. Le bois ainsi produit  a notamment servi à produire les traverses nécessaires à la construction de voies ferrées. L’Etat a donc encouragé la sylviculture dans le cadre d’une politique territoriale très volontariste.

            Aujourd’hui, la forêt française continue à satisfaire les besoins humains. Elle représente un intérêt économique majeur.  Sur plus de 16 millions d’hectares, on compte 2.6 milliards de m3  de bois sur pied. Chaque année sont produits près de 19.4 millions de m3 de bois d’œuvre pour  meubles et charpentes. Le bois d’industrie pour le papier, le carton et le bâtiment représente 10.6 millions de m3. Enfin, le bois sert toujours à chauffer. Puisque le bois d’énergie représente 8 millions de m3. Au total le secteur du bois  génère 440 000 emplois. La filière bois est donc d’une importance économique majeure.

            Depuis fort longtemps, la forêt française répond donc aux besoins humains qu’il s’agisse de nourriture, de chauffage ou de matériaux. Mais la forêt est fragile. Quelles furent et quelles sont les dispositions prises pour une exploitation raisonnée de la forêt.

II La nécessité de conserver la forêt pour en garantir l’usage.

            La prise de conscience des équilibres fragiles qui caractérise les interactions entre les hommes et la forêt est précoce.

            Ainsi au Moyen Age, la forêt a beau représenter en France près de 25 millions d’ha (11ème siècle), les seigneurs ont toujours cherché à préserver leurs ressources. Ainsi les droits d’usage de la forêt étaient accordés moyennant redevance payée au seigneur qui se réservait le bois de chauffage. Les usages de la forêt furent strictement codifiés pour une exploitation raisonnable par des édits, seigneuriaux, des chartes communales ou encore des codes forestiers. La prise de conscience des conséquences préjudiciables d’une exploitation intensive des ressources n’est  donc pas une nouveauté. 

            Sous l’Ancien régime on observe très tôt des actions publiques destinées à gérer les  forêts et leurs ressources. En ce qui concerne les forêts, du XVIIe au XIXe siècle, les pouvoirs successifs ont agi par la loi pour contrôler l'exploitation des espaces forestiers. Par exemple en 1669, dans un contexte où la forêt française semble abimée et mal famée,  la « Grande réformation »  ordonnance voulue par Colbert cherche à rationaliser la production de bois de façon à satisfaire durablement les besoins de la marine. On y lit la volonté d’imposer aux communautés comme aux individus une gestion des forêts sur le long terme. Il s’agit également de mieux contrôler le territoire à l’heure où les bandits prospéraient dans les forêts.

            Cependant, la Grande réformation est peu et mal appliquée et l’agriculture poursuit son extension. Dans ces conditions, la superficie couverte par la forêt  continue de diminuer. Ainsi au XVIIIème siècle, la forêt ne couvre plus  que 13% du territoire. Aussi, au siècle suivant, un nouveau code forestier est mis en place en 1827 sous Charles X. Il défend de ramasser les glands autres fruits, d’abattre des arbres dans les forets d’Etat. Il interdit le pâturage pour les  chèvres et les  moutons.  Ce code provoque un mécontentement des paysans. En  1829-1830, dans les Pyrénées ariégeoises, ils se soulèvent c’est ce qu’on appelle la «  guerre des demoiselles ». Cet épisode hante encore les consciences en pays ariégeois comme le laisse entendre cette vidéo de 2017 où des chasseurs contestent l’introduction de l’Ours dans les Pyrénées.

            Depuis, l’Etat a toujours souhaité garder la maîtrise sur la gestion de la forêt. Cette mission est aujourd’hui reprise par l’Office National des Forêt (ONF). Mais ce dernier est critiqué pour les difficultés qu’il rencontre. Il peine en effet à concilier la satisfaction des besoins en bois de l’économie,  la conservation de la ressource pour le long terme et la protection des espèces. Depuis  2015, cet organisme connait une importante crise. Des agents  forestiers ont désormais le sentiment que leur mission est dénaturée et que la forêt qu’ils sont sensés protéger fait l’objet d’une véritable industrialisation. 

            Cela fait donc longtemps, qu’il existe en France dans la gestion de la ressource forestière des logiques de conservation. Il s’agit en effet de gérer les ressources pour une exploitation raisonnable en vue d’un usage prolongé. Il agit là d’une vision de l'environnement qui reste centrée sur les besoins humains. Cela ne va pas sans faire penser au débat qui opposait au début du 20ème siècle aux EU, Gifford Pinchot partisan de la conservation et John Muir, défenseur de la préservation.

            Désormais, on prône en France une gestion durable de la forêt. La notion de développement durable a été élaborée dans la deuxième moitié du XXème siècle. On y retrouve cette volonté de garantir les ressources pour l’avenir. Dès 1968-1972, le « Club de Rome » (Organisation Non Gouvernementale) démontrait l’existence d’une distorsion entre le caractère fini des ressources mondiales et l’intensité du prélèvement et préconisait une « croissance zéro » (rapport Meadows). En 1972 se tient à Stockholm le premier sommet de la Terre. En 1987, la commission  Brundtland développait une nouvelle notion : le développement durable. Ce concept fut repris par la conférence de Rio en 1992 et par l’OMC en 1995. Le développement durable peut être défini comme un  développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Selon certains auteurs, le développement durable cherche à assurer : « la durabilité écologique, la viabilité économique et l’équité sociale ». Avec ce concept adopté à l’occasion de grandes conférences internationales, s’affirme le principe d’une gestion raisonnée des ressources du local au global pour garantir aux générations future la possibilité d’en faire autant.  Plus précisément, le sommet de Rio de 1992 promeut une gestion durable des forets permettant d’en utiliser les ressources tout en les protégeant. La déclaration est partiellement reprise dans le code français de l’environnement de 2000.

 

Donc depuis longtemps en France, on cherche à s’organiser pour une exploitation raisonnée de la forêt destinée à en pérenniser les ressources. On est donc dans des logiques de conservation, voire de développement durable. Mais on constate que l’équilibre entre exploitation et protection est toujours resté précaire. Certains considèrent donc qu’il est nécessaire de préserver certaines forêts de l’action humaine.

 

Grande ordonnance : texte qui dote la forêt d’un code unique remplaçant une multitude de règlements particuliers. Les commissaires du roi ont pour ordre de restaurer les peuplements forestiers pour éviter toute disette et permettre l’autosuffisance en bois (chantier navals).

ONF : établissement public crée en 1964 qui a pour mission la production de bois, la préservation des forêts et l’accueil du public.

Forêt publique domaniale : forêt appartenant  à l’Etat gérée par l’ONF

 

III L’urgence de la préservation

 

            La conscience de l’impact des activités humaines sur la forêt et par extension sur la nature n’est pas nouvelle.  Déjà au 18ème siècle, le naturaliste et mathématicien Buffon (1707-1788) écrivait dans Les Époques de la nature en 1778 que « La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme ». La forêt française en offre une illustration puisqu’il n’y a plus en France de forêt primaire, c’est-à-dire pour faire simple de forêt strictement naturelle. Mais la question reste débattue. Aujourd’hui,  plus vielle forêt française avec plus 40 000 ans , fait figure d’exception.

            Progressivement, la nécessité de protéger la forêt s’est imposée aux sociétés humaines. En France, par exemple, l’impact de la Révolution industrielle sur l’environnement est sensible dès le XIXème siècle. Sous Napoléon III déjà on légifère pour limiter les nuisances des usines. Les ménages les plus aisés s’installent dans l’ouest parisien pour échapper aux fumées emportées par les vents dominants. La prise de conscience qui en résulte entraîne une exaltation de la nature. Au début du XXème siècle, cette dernière est aussi au cœur des préoccupations de l’école de Barbizon. La mise au point de la peinture en tube et son importation en provenance du Royaume-Uni à partir de 1824, rend désormais possible la peinture en extérieur. Le train à vapeur permet de gagner des lieux plus éloignés. Le paysage tient donc désormais une place majeure dans l’œuvre. Ce courant esthétique qui idéalise la nature conquiert rapidement son public. Il faut dire que pour la bourgeoisie, dans une France gagnée par l’industrialisation et l’urbanisation, la campagne et la nature apparaissent comme des espaces refuges. C’est dans ce contexte que le chef de fil de l’école de Barbizon, Théodore Rousseau entreprend en 1852 d’écrire au duc de Morny, ministre de l’intérieur de Napoléon III pour attirer son attention sur les dégâts dans la forêt de Fontainebleau. C’est ainsi que  fut créée en 1861 une « réserve artistique » de 1097 hectares. Ce fut le premier site naturel au monde à faire l’objet d’une protection avant Yellowstone aux EU en 1872.

            Plus récemment, le constat de la fragilité de la forêt s’est imposé compte tenu des excès d’une exploitation intensive et du dérèglement climatique. Dans ce contexte, l’idée d’une nécessaire protection de la forêt apparaît comme une urgence. La prise de conscience du réchauffement climatique par la communauté internationale apparaît dans les années 1970/1980. Des historiens comme Emmanuel Le Roy Ladurie avaient déjà démontré que le climat pouvait connaitre des fluctuations. Il avait par exemple mis en lumière l’existence d’un « petit âge glaciaire » entre le XIVe siècle  et le XIXe siècle. Mais désormais, c’est la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement et le dérèglement climatique qui est mise en cause. On parle d’ailleurs à ce propos d’anthropocène. Cette nouvelle phase géologique dont la révolution industrielle du XIXe siècle serait le déclencheur principal, serait marquée par la capacité de l’homme à transformer l’ensemble du système terrestre. Cette notion est discutée mais il semble que pour la première fois la principale force de changement sur terre est l’activité humaine. Or ce dérèglement climatique a un impact sur la forêt. Enfin le dérèglement climatique affecte la forêt. D’une part, parce que la hausse des températures empêche le développement de certaines essences là où elles étaient implantées de longue date. Ensuite, la forêt est désormais menacée par les aléas liés au dérèglement climatique. On peut citer les méga-incendies. Comme cet été en Gironde ou les tempêtes majeures comme celle qui en 1999 ravageât le parc du château de Versailles. Enfin, les sécheresses de 2018 et 2019 ont tué de nombreux arbres adultes, ce qui ne laisse rien présager de bon pour les conséquences des sécheresses de 2022 et  2023.

            D’autres menaces pèsent sur la forêt française. La première est liée à l’exploitation intensive. La demande mondiale devient si forte dans le monde que le bois est coupé de façon intensive. Cela donne parfois lieu à des coupes rases très contestées.  Il existe même des cas de coupes sauvages.

            Les maladies affectent aussi les forêts. Certaines de ces maladies sont importées avec la mondialisation. Ainsi, au cours du siècle passé, la grande majorité des introductions de maladies provient soit d’Asie de l’Est, soit d’Amérique du Nord, à savoir de pays avec lesquels le flux commercial est important. On peut citer le cynips du châtaignier, les capricornes asiatiques, la pyrale du buis, chancre du châtaignier, chancre coloré du platane, graphiose de l’orme.

            Comme par ailleurs, la forêt fixe également le CO2 et contribue à réduire l’émission de GES. 15 % des émissions annuelles de Co2 de la France sont captées par les forêts.  Il apparaît donc urgent de les protéger. Des mesures sont donc adoptées. Des espaces sont désormais considérés comme des réserves. En 1963 la France crée dans le massif de la Vanoise le premier parc naturel national. Il est pour une bonne partie couvert par des espaces forestiers. Désormais, on  compte 11 parcs naturels nationaux sur le territoire national. La zone centrale de ces parcs fait l’objet de mesures de protection.

            La protection des forêts concerne également des particuliers ou des associations. Ainsi l’Association Versors Vie Sauvage achète actuellement une forêt de 500 hectares dans la Drôme pour la laisser en libre évolution. Cette dernière peut être définie comme la volonté de laisser des espaces de nature sauvage tranquilles, sans activité humaine. Cela signifie qu’elle n’est pas exploitée et qu’elle ne donne pas lieu à des activités comme la chasse, la  pêche, l’exploitation du sol, la cueillette ou à les loisirs bruyants. Les arbres morts y sont laissés tels quels, pour qu’ils deviennent l’habitat d’autres êtres vivants. Mais ce type de démarche peut être contesté comme à Valfanjouse dans la Drôme où l’Association pour la protection de la vie sauvage (Aspas) a décidé de transformer un ancien domaine de chasse pour en faire une "réserve de vie sauvage". Or d’autre usagers de la forêt comme les chasseurs craignent le développement de maladies dans la faune sauvage ou encore la prolifération d’espèces halogènes comme le cerf syka qui rend possible l’hybridation avec le cerf indigène : le cerf élaphe.

Forêt primaire : forêt d’espèces indigènes qui ne présente pas de trace d’activités humaines suffisantes pour en changer l’écosystème.

 

Forêt de protection : identifiée comme préservant soit la sécurité de riverains contre certains risques naturels, soit la santé et la qualité de vie des habitants de zones urbanisées, soit des éco systèmes particulièrement sensibles.

 

            Conclusion : Penser la forêt, c’est donc penser l’ensemble des interactions entre elle et la population. Celle-ci l’exploite depuis longtemps pour satisfaire ses besoins. Mais elle a pris précocement conscience du caractère fragile de ses ressources. Des modes de gestions sont donc adoptés depuis longtemps pour pérenniser les ressources forestières et en permettre un usage renouvelé. Depuis la Révolution industrielle, la grande nouveauté réside dans le caractère irréversible des dégâts que causent les activités humaines. Cette situation rend nécessaire une véritable protection de la forêt. Celle-ci prend des formes variées et parfois discutées.

 

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