Leçon : La rafle du 26 août 1942, reflet de la collaboration au génocide.

 

L'administration de Vichy et les autorités nazies préparent des opérations de grande ampleur. 

Les tractations en haut lieu...

En avril 1942, les nazis réimposent Pierre Laval comme chef du gouvernement  de l'Etat Français malgré la  brouille qui l'oppose à Pétain. Au printemps 1942, les hommes de Laval sont donc aux postes clés de l'administration policière. Bousquet dirige le Secrétariat Général de la Police Nationale. Il est secondé par Cado (zone libre) et Leguay (zone occupée). Darquier de Pellepoix est à la direction du Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ). Ces hommes préparent la déportation en collaborant avec le service de sécurité allemand, le SD (Sicherheitsdienst) dirigé jusqu'en juillet 1942 par Dannecker, puis par Röthke. La première réunion préparatoire entre Bousquet et Dannecker a lieu le 7 juillet 1942.

 

 ... aboutissent dans un premier temps à la Rafle du Vel d'Hiv.

Début juillet, Bousquet, Darquier de Pellepoix et Dannecker s'entendent sur un objectif à atteindre de 20 à 22000 arrestations. La police française est chargée de cette opération baptisée "vent printanier". A l'origine, les autorités allemandes ne souhaitent pas déporter les enfants, mais Pierre Laval insiste pour que les moins de 16 ans soient également arrêtés afin, prétendument, de ne pas les séparer de leurs parents. Prévue à l'origine entre le 13 et le 15 juillet, l'opération est finalement fixée aux 16-17 juillet. Les policiers ont pour consigne de signaler heure par heure le nombre d'arrestations réalisées. 

Sur les deux jours, 3031 hommes et 5802 femmes sont ainsi arrêtés. Auxquels il faut ajouter les 4000 enfants. Les autorités françaises et allemandes perçoivent ce résultat comme un échec. Elles se préoccupent alors des fuites qui seraient  la cause de ce bilan. Il est vrai que des fonctionnaires de police ont alerté des juifs étrangers de l'imminence des arrestations. C'est le cas notamment de Gustave Debruyne, qui, grâce à sa position à la préfecture de police de Paris, parvient à avertir la famille Swita. [i][1] (SEMELIN 2013)

 

Cette collaboration au génocide concerne également la zone non occupée, donc le Gers et Mirande.

L'administration locale relaie les décisions prises à Vichy et Paris

Au cours des négociations entre le SD, Bousquet et Leguay, il est décidé que les Français doivent arrêter 10000 juifs étrangers  en zone dite libre. Pétain refuse à ce moment là la déportation des juifs français. Les consignes de Bousquet sont transmises aux départements par l'intermédiaire du préfet de région : Cheyneau de Leyritz. Il conduit cette politique collaborationniste avec zèle et autorité. Il est chargé de veiller à ce que les décisions soient appliquées à la lettre dans les départements. Dans le Gers, c'est le préfet Caumont qui est en poste depuis juillet 1942. Dans un premier temps, la préfecture identifie et localise les juifs étrangers susceptibles d'être arrêtés. Une tournée d'inspection est organisée par Dannecker dans les camps de la zone non-occupée pour évaluer le nombre de juifs internés. 2599 personnes sont ainsi dénombrées.

Dans le Gers, pour dresser la liste des personnes à arrêter, la préfecture dispose durant l'été 1942 de nombreux documents établis depuis le début de la guerre. En octobre 1940, l'ancien préfet Cacaud demande une liste des étrangers réfugiés à Auch. Des noms de juifs y figurent déjà. Une circulaire demande également de recenser les bénéficiaires des aides sociales. La préfecture dispose également des résultats du recensement exigé par la loi du 2 juin 1941, instituant le nouveau statut des juifs. Dans la XVIIème région, la région de Toulouse qui correspond en partie à l'ancienne région Midi-Pyrénées, ce sont au total 18820 juifs qui se sont déclarés. Dans le Gers, en avril 1942, le résultat de cette opération de recensement  permet d'établir une liste de 645 juifs de plus de 15 ans. On y trouve 278 Français et 367 étrangers. Or, c'est parmi ces 367 juifs étrangers que sont retenus les noms des 150 personnes à arrêter et déporter. Il est à noter que les Suganas ne figurent pas sur ces listes. 

La rafle du 26 août 1942 qui concerne l'ensemble de la zone "libre" est ensuite préparée dans les moindres détails. Le 5 août, Cheyneau de Leyritz informe par télégramme les préfets de départements que  l'opération de "transport en zone occupée" vise plus précisément [2] "les israélites allemands, autrichiens, tchèques, polonais, estoniens, lituaniens, lettons, dantzigois, sarrois, soviétiques et réfugiés russes" entrés en France après 1936 présents dans les camps du sud de la France, dans  les GTE ou en résidence libre.  Du 6 au 25 aout, les juifs étrangers enfermés dans les camps d'internement du sud de la France et dans les groupements de travailleurs étrangers (GTE) sont rassemblés pour la déportation.

Dans le télégramme du 5 août, il était dit que les enfants de moins de 18 ans pouvaient rester en zone libre. Mais le 18 aout 1942, René Bousquet lève cette exemption [3]. Les enfants seront donc raflés également. Ne voulant pas que les fuites qui ont précédé la rafle du Vel d'Hiv se reproduisent, il demande aux préfets le 22 août 1942 de "signaler les fonctionnaires dont les indiscrétions, la passivité ou la mauvaise volonté auraient compliqué votre tâche"[4]. Le 25 août  Henry Cado, adjoint de Bousquet, conseille aux préfets de déclencher la rafle à  5h30. [5]

 

 

Les arrestations ont donc lieu à Mirande également 

Le 26 août 1942 est lancée une rafle qui concerne l'ensemble de la zone "libre". La commune de Mirande n'échappe pas à cette vague d'arrestations. Ainsi plusieurs témoignages rassemblés par l'historien Guy Labédan mentionnent par exemple l'arrestation de Monsieur Peter Katzenstein et des époux Rotters. C'est ainsi que deux gendarmes accompagnés par un représentant de la mairie se présentent au domicile de Monsieur Katzenstein. Là, ils semblent surpris de la présence des Rotters. Monsieur Rotters de santé fragile fait alors un malaise. Certains évoquent une syncope. L'un des gendarmes estime qu'il simule. Alors que Madame Rotters et Monsieur Katzenstein sont amenés à pied, Monsieur Rotters est conduit en voiture [6]. Au total ce sont 15 personnes qui sont arrêtées à Mirande ce jour là. Seule une personne est portée absente. Il s'agit d'Henny Rajchmann, la fille de Mozesk et Paula Rajchmann.  En réalité, elle a été transférée en Savoie en février 1942 par le Secours Suisse, une organisation d'aide aux réfugiés.  D'autres arrestations suivront.

 

Les personnes arrêtées sont déportées.

Auch

La note du 5 août 1942 prévoit que les  bus de transport convergent vers Auch à La Hourre pour être contrôlés par des représentants de la préfecture. De là, les bus sont dirigés le jour même vers Le Vernet en Ariège.

Le Vernet

Le Vernet est un camp d'internement devenu camp de transit. Créé sous la Troisième République pour abriter des tirailleurs "sénégalais", il sert ensuite à  concentrer des combattants républicains de la Guerre Civile espagnole. A partir de 1940, les autorités qui utilisent l'expression "camp de concentration"  en font un camp destinés aux étrangers indésirables et aux juifs.  A l'été 1942, ce camp devient une étape de la déportation.

Les réfugiés juifs de Mirande y séjournent moins d''une semaine. Les wagons à bestiaux destinés à leur transfert  arrivent  dès le 30 août en gare du Vernet, à quelques mètres du camp. Le 1er septembre, les victimes sont acheminées jusqu'à la gare où elle embarquent pour Drancy via Toulouse. Les conditions de transport dans des wagons à bestiaux sont épouvantables.  Pour ceux qui partent le 1er septembre, le convoi arrive à Drancy le 2 en début d'après-midi.

Drancy

Drancy est d' abord un camp d'internement, avant de devenir à partir du 27 mars 1942 un centre de déportation. Dans les bâtiments, les conditions de vie sont rendues délibérément difficiles par les autorités allemandes. La nourriture est insuffisante, l'hygiène est déplorable. Les réfugiés gersois n'y restent que deux jours. Le convoi n° 28  qui les conduit à destination d'Auschwitz en Pologne quitte Drancy le 4 septembre. Dans ce convoi de 1013 déportés figurent Norbert Eisner, Henz Lowenhek (5 ans), Mozesk Rajchmann, Paula Rajchmann et leur fille Rina (4 ans), Moritz Löwenbek, Emilie Lowenbek, et leur fils Heinz (7ans), Lothair et Nora Rotters, Ariel Roth, Riwka Roth, Samuel Roth, Isaak Roth. Civia Roth fait également partie de ce convoi. Elle n'apparaît pas sur la liste TKU, mais son nom est mentionné sur la liste de transfert du Vernet à Auschwitz en passant par Drancy.

Auschwitz.

Aucun d'entre eux ne survit à la déportation.  Sur les 1013 déportés  du convoi n° 28, 959 personnes sont gazées immédiatement à l'arrivée au camp. Seuls 16 hommes et 38 femmes sont sélectionnés pour travailler. Seules, 26 personnes issues de ce convoi ont survécu. Le système concentrationnaire d'Auschwitz a donc la particularité d'être à la fois un centre de mise à mort, un camp de concentration et un camp de travail comprenant trois sites Auschwitz I, Auschwitz II, Auschwitz III. Le camp  de Majdanek est organisé de façon comparable. C'est là que sont déportés par le convoi n°50  Wolf Cudyker et Mosek Pik, arrétés à Mirande le 24 février 1943. Il se trouve que Madame Liuba Suganas connaissait la famille Pik. Les camps de Belzec, Sobibor, Treblinka et Chelmno en Pologne sont exclusivement des centres de mise à mort. Au total, on dénombre six camps d'extermination nazis en Pologne.

 

Conclusion :

Toutes ces personnes sont victimes de la solution finale décidée en juin-juillet 1941. La déportation systématique de tous les juifs d'Europe voulue par les responsables nazis réunis à Wannsee en janvier 1942 se traduit sept mois plus tard à Mirande par l'arrestation de 15 personnes. La volonté allemande est largement relayée à tous les échelons par les autorités collaborationnistes. La proximité du danger est évidente pour les Suganas, pourtant les autorités de Vichy demandent que les juifs français ne soient pas visés par ces arrestations. Cette attitude ne fut pas systématique, puisque 9 à 12.6% des juifs français furent quand même assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale. [7]

 

 

Vocabulaire :

Génocide : destruction d’un peuple pour des motifs idéologiques, raciaux, religieux et nationaux. Expression créée par Raphaël Lemkin en 1944. C’est un crime contre l’humanité, puni par l’ONU.

 Camps de concentration : lieu d’enfermement des opposants aux nazis et des individus considérés comme "asociaux", "anormaux", où ils sont exploités. Au fur et à mesure, les conditions d’exploitation et d’internement ne permettent plus de distinguer les camps de concentration et les camps d’extermination.

Camps d’extermination : ce sont des camps qui disposent de dispositifs d'assassinat en masse. On devrait plutôt les qualifier de centres d’assassinat ou centres de mise à mort. Certains, comme Auschwitz, comprennent des zones d'internement associées à des camps de travail.

 

Villa de Wannssee, 2 février 2015, Manuel Nérée

 



[1]                      SEMELIN J.

[2]                      AD Gers 1 W 650

[3]                      Archives nationales W III 91

[4]                      AD Gers 1 W 653

[5]                      AD Gers 1 W 653

[6]                      AD Gers 42 J 309

 

[7]              Susan Zuccotti, The Holocaust, The French, and the Jews, New York , Basic Books, 1993 p 284. Cité par Jacques Semelin, Persécutions et entraides dans la France Occupée, Les Arènes-Seuil, 2013 p 803

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