Séries : TL

 

Titre : Mobilités, flux et réseaux : vers un  monde fluide ?

Etude de cas : l’aéroport de Schiphol, plateforme de correspondance néerlandaise

Quatrième aéroport européen pour le trafic  de voyageurs avec 51 035 590  passagers en 2013, il dessert en vol direct plus de 260 destinations dans 91 pays ou Brussels Airport Zaventem, 21.8 millions de passagers, 650 vols par jour

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Les mobilités peuvent être définies comme toutes les formes de déplacement dans l’espace. En géographie, on désigne ainsi pour l’essentiel des déplacements de personnes (individus, groupes, populations, tourisme, migration, nomadisme, etc). On appelle flux les écoulements, les transferts de personnes, de biens, d’informations  et de marchandises. Ils s’inscrivent dans des réseaux constitués par l’ensemble des lignes ou des relations aux connexions plus ou moins complexes. Dans le film « In the air » (2008), le personnage joué par George Clooney partage son temps entre chambres d’hôtels et aéroports pour annoncer à des salariés leur licenciement. Cette fiction est le reflet du développement des mobilités et des flux dans le contexte de la mondialisation. Ce long métrage pourrait être l’illustration de l’avènement de sociétés liquides [Zygmunt Bauman] inscrites dans un monde fluide. C’est oublier un autre film américain, Le Terminal, de Steven Speilberg. Cette fiction de 2004  est largement  inspirée de l’histoire vraie d’un iranien, Mehran Karimi Nasseri, qui, confronté à une situation administrative inextricable, a vécu dans l’aéroport de Roissy de 1988 à 2006.

 

Problématique : A l’ occasion de notre escale à Schiphol (Pays-Bas), on peut donc se demander si dans le contexte de la globalisation, le monde devient «fluide ». Les déplacements et les flux se déroulent-ils sans entraves ? Les personnes circulent-elles librement ? Les réseaux sont-ils interconnectés ?

 

I La réalité des mobilités et des flux ….

a)…qui se développent…

Les flux de touristes dans le monde augmentent. Le nombre d’arrivées dans le monde est passé de 25 millions en 1950 à 1.3 milliard de touristes en 2017. Les arrivées proviennent très largement des pays voisins. Dans ces conditions, les flux nord-nord restent dominants.

Les flux migratoires sont relativement stables. Les migrants internationaux sont 258 millions (2017). Ils représentent 3,4 % de la population  mondiale contre 2,9% en 2005. Les motivations des migrants sont diverses. On distingue en général les motivations liées au travail ou à la recherche de meilleures conditions de vie qui définissent les migrations économiques, des migrations liées à la fuite de conflits ou de régimes dictatoriaux. On parle alors de migrations politiques. Certains de ces migrants sont en situation irrégulière mais il ne s’agit pas de la plupart d’entre eux. Une étude européenne de la fin des années 2000 estime entre 2 et 4 millions le nombre d’irréguliers présents en Europe pour une population totale de 500 millions d’habitants. Aux Etats-Unis, ce rapport est de 10 millions pour une population de 300 millions d’habitants. Ces migrants constituent parfois des diasporas dont les réseaux s’étendent à l’ensemble de la planète. C’est le cas de la diaspora chinoise.

Les mobilités journalières se développent avec l’étalement urbain et l’amélioration des transports. Les mouvements pendulaires se multiplient.

Les flux de marchandises sont en croissance quasi constante. En dépit d’une légère contraction du commerce international en 2009, ces flux ont augmenté au rythme de 5,5 % par an en moyenne sur les 20 dernières années (source OMC). EN 2014 les exportations mondiales de marchandises représentaient 19 000 milliards de $.

C’est le cas également des flux d’informations et de capitaux. Le montant global des transactions financières est estimé aujourd’hui à 8000 milliards de $. (2010)  Il peut être intéressant de noter au passage que les transferts d’argent des travailleurs migrants représentent 429milliards de $ (2017).

 

Réfugié : personne qui quitte son pays pour des raisons de conflits ou de vexations jugées insupportables. Pour le HCR et la Convention de Genève ce terme désigne « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politique, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou ne veut, du fait de cette crainte se réclamer de la protection de ce pays. »

Tourisme : selon  OMT, il s’agit d’un déplacement hors du lieu de résidence habituel  pour plus de 24 h mais moins de 4 mois, dans un but de loisir, un but professionnel (tourisme d'affaire) ou un but sanitaire (tourisme de santé). Il s’agit donc d’une mobilité qui n'entraîne pas de changement de résidence

Diaspora : communauté dispersée dans le monde entier dont les membres entretiennent des liens particulièrement étroits et organisés au-delà des frontières.

 

 

b) …dans un nouveau contexte juridique et technique.

On observe pour commencer l’abaissement de certaines barrières. La mise en place  de  zones de libre échange (ZLE), d’union douanières et d’instances de gouvernance économiques comme l’organisation mondiale du commerce (OMC) favorise le développement des flux de marchandises et de capitaux. Dans ce dernier domaine on observe d’ailleurs depuis les années 80 une déréglementation croissante. En ce qui concerne les personnes, depuis 1995, les accords de Schengen permettent la libre circulation des ressortissants européens.

Nous avons déjà évoqué les progrès en matière de transport et de télécommunication (à développer au moyen du cours sur la mondialisation et sur la téléphonie mobile). Il convient d’ajouter à cela que la connectivité des réseaux s’améliore grâce notamment à l’adoption de normes communes. C’est ainsi que désormais le TGV peut relier Montpellier à Barcelone. L’Union européenne s’efforce également d’harmoniser sur le plan technique et tarifaire le fonctionnement de la téléphonie mobile sur le territoire des Etats membres. On constate également que se développe l’inter modalité. Dans le hub de Schiphol, l’accès au réseau ferroviaire et autres modes de transports collectifs est facilité. Ainsi se constituent donc de vastes résaux planétaires ou régionaux. Zaventem est relié au reste de la Belgique et de l'Europe au moyen de 200 train et 1000 bus.

 

Convention de Schengen : convention entrée en vigueur en 1995 qui permet la libre circulation des ressortissants européens et qui renforce le contrôle aux frontières externes. Elle associe 26 états qui ne sont pas tous membres de l’Union européenne.

 

Hub ou plateforme de correspondance : plateforme aéroportuaire permettant le rayonnement de lignes long-courriers et de lignes secondaires.

 

Inter modalité : principe d’assurer le transbordement ou le transfert de façon aisée d’un mode de transport à un autre.

 

II …ne doit pas faire oublier la persistance d’entraves à la circulation des personnes, des informations et des biens.

 

a)     La mobilité des personnes …..

…est relative. Les migrations internes sont nettement plus nombreuses que les migrations internationales. Elles concernent 740 millions de personnes selon le PNUD. Ensuite certaines migrations ne sont internationales que depuis la création de certaines frontières. Ainsi la balkanisation depuis 1991 participe à l'augmentation des chiffres de la mobilité. Ensuite les migrations internationales ne se font pas forcément sur de très longues distances sud-nord. Par exemple, un migrant africain sur deux va vers un autre pays africain. Selon le PNUD, les migrations s'organisent en majorité entre pays voisins, cela concerne 40% d’entres elles. De plus des couples voir des champs migratoires relient les pays de destination et certains pays de provenance en particulier. En dépit de la mondialisation, les flux de migrants sont très polarisés dans des régions migratoires.

Il faut dire que les migrations restent limitées pour des raisons de droit. Il est de moins en moins difficile de quitter le pays de départ, sauf dans certains pays comme la Corée du Nord. Ainsi, la plupart de ceux qui émigrent ont des passeports. Par contre, le nombre de visas accordés par les pays d’accueil reste limité. Le durcissement du droit d’entrée contrarie la généralisation du droit de sortie. En Europe, les accords de Schengen visent à renforcer le contrôle aux frontières extérieures. Depuis 2004, le programme FRONTEX cherche à coordonner l’action contre l’immigration illégale. L’Union européenne délègue d’ailleurs de plus en plus le contrôle de ces flux aux pays de transit situés sur l’autre rive de la Méditerranée (Maroc, Libye). Les frontières sont donc de plus en plus externalisées. Au Etats-Unis, le Secure Fence Act renforce depuis 2006 la surveillance des frontières. Donald Trump ne propose que de renforcer un processus déjà ancien.  Cela confirme la tendance à la barrièrisation de celles-ci. Dans ces conditions, les itinéraires de migrations deviennent de plus en plus dangereux comme le révèlent les naufrages répétés aux abords de Lampedusa, de Malte ou des Canaries. Par ailleurs, on constate que la frontière ne se réduit plus seulement à une ligne marquant la séparation entre deux souverainetés. Dans les aéroports comme à Schiphol, on distingue des nœuds frontaliers ou frontières nodales qui contrôlent le passage d’un espace à un autre en fonction de la provenance des passagers. La distinction est faite, notamment, entre les ressortissants Schengen et ceux qui relèvent de territoires situés hors Schengen. Dans le cas d’une simple escale, les contrôles se limitent à l’accès aux avions. Le hub s’apparente alors à un couloir de transit ou à un « tube de verre » permettant  le raccordement ou la jonction entre plusieurs lignes. Les frontières sont donc désormais polymorphes mais la souveraineté des Etats continue à se manifester à travers le contrôle des déplacements et des flux de la mondialisation.

Les mobilités sont également limitées par les revenus. A l’heure où certains militent pour la gratuité des transports afin de faciliter l’accès à l’emploi, les trajets réguliers sur de grandes lignes internationales ne concernent  qu’une minorité de happy few constituant l’élite transnationale. On parle donc de motilité inégale.

 

Motilité : capacité à se déplacer.

 

b) ….et des biens reste limitée.

Même si les barrières tarifaires tendent à s’abaisser, les mesures protectionnistes ne disparaissent pas pour autant. Elles peuvent prendre la forme de normes techniques ou sanitaires contraignantes. C’est de cette façon que les Etats-Unis ont empêché les importations de pneus chinois ou de fromages européens. En Europe, ce sont les biens culturels qui, à l’instigation de la France, font l’objet de conditions particulières d’importations pour protéger les productions nationales ou communautaires. On parle d’exception culturelle. Dans le domaine industriel, Donald Trump vient d'annoncer une sur-taxation des produits sidérurgiques pour protéger l'industrie américaine.

 

Exception culturelle : ensemble de règles et de principes qui font des biens et des services culturels des exceptions dans les négociations commerciales internationales de façon à protéger et à aider les productions nationales ou communautaires.

 

c) La mise en réseau du monde reste incomplète.

La pose d’un énorme câble de communication transatlantique ou la réalisation d’infrastructures comme le tunnel sous la Manche ou le pont-tunnel de l’Oresund ne doit pas faire oublier la persistance de contraintes géographiques majeures qui constituent des obstacles empêchant la continuité des réseaux. Les réseaux ne sont pas tous connectés. Le TGV français par exemple ne peut emprunter que très partiellement le réseau ferroviaire allemand et réciproquement pour l’ICE allemand.

Ensuite dans le domaine de l’internet comme dans celui des transports, on remarque à l’échelle mondiale que le maillage des réseaux reste très inégal. Le nord domine largement les flux numériques. Il existe un peu partout dans le monde des territoires enclavés ou victimes de la fracture numérique (PMA, zones blanches)

 

Enclavement : situation d’un territoire situé à l’écart des grands axes de communication.

 

d)   La circulation des informations reste surveillée

A l’heure du soulèvement iranien en 2009  et du  printemps Arabe à partir de 2011, certains ont insisté sur le rôle des réseaux sociaux dans la libre circulation des informations et des idées. Mais la répression qui a suivi dans certains pays a rappelé combien internet pouvait faire l’objet d’une surveillance et d’un contrôle de la circulation des informations. Par exemple, c’est une société française, Qosmos, qui a, un temps fourni à Messieurs Kadhafi et el Assad, les moyens de surveiller la correspondance électronique de leurs populations. Dans le même temps, la Chine limite la navigation en proposant son propre moteur de recherche Baidu. Les démocraties  ne sont pas toujours innocentes dans ce domaine puisque Edward Snowden a révélé les interceptions électroniques  de la NSA américaine au moyen du programme PRISM.

 

Conclusion :

Le développement des flux de la mondialisation  et l’amélioration des réseaux ne rendent pas le monde fluide. Il existe des contraintes géographiques et socio-économiques ainsi que des entraves techniques ou politiques qui limitent les mobilités.

 

Auteur : Nérée Manuel

Bibliographie :

S. MEKDJIAN, Mobilités et mondialisation. Le monde en mouvement in Géographie et géopolitique de la mondialisation, Initial, Hatier, 2011.

Le commerce mondial en 2011, les perspectives pour 2012, OMC, avril 2012.

MICHON Pascal, Le monde et l’empire fluides, Revue du MAUSS, janvier 2005. www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-1-page-127.htm.

FRETIGNY Jean-Baptiste, La frontière à l’épreuve des mobilités aériennes : l' exemple de l'aéroport de Paris Charles-de-Gaulle, HAL, archives-ouvertes, 2013.

FRETIGNY Jean-Baptiste, Les mobilités à l'épreuve des aéroports : des espaces publics aux territorialités en réseau. Les cas de Paris-Roissy-Charles-De-Gaulle, Amsterdam Schiphol, Francfort-sur-le-Main et Dubai International, , archives-ouvertes, 2014.

 

Dernière mise à jour : 06-18

 

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