Séries : TES, TS
Titre : Japon-Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales.
Une question de puissance.
Pour
rappel, la puissance est la capacité d’un Etat à
imposer sa volonté aux autres en combinant un ensemble de facteurs
propres à assoir son autorité. Elle repose sur le territoire et
les ressources qu’il procure. Elle dépend également du
poids démographique et économique, de l’influence
politique, des capacités militaires (hard power) et du
rayonnement culturel. Les compétences technologiques doivent
également être prises en compte. On parle à ce titre de smart
power. Que de chemin parcouru depuis 1955, date à laquelle, les deux
pays participent ensemble à la conférence de Bandung. Cette
dernière était alors le symbole de l’affirmation sur la
scène internationale des pays du tiers-monde.
Problématique : Les puissances de la Chine et du Japon
sont-elles comparables ? Reposent-elles sur les mêmes
bases ? Les deux pays ont-ils le même rayonnement en Asie
orientale et dans le monde ? Comment s manifeste leur
rivalité ?
I Sur la base de
conditions différentes ….
a)
L’archipel
et le continent (des déterminants géographiques
différents-une approche géoenvironnementale)
Le
Japon est un archipel composé de 4000 îles. Les
principales sont Hokkaido, Honshu, Kyushu, Shikoku. La formation de ces
îles est le plus souvent liée à la forte activité
sismique de cette région située au carrefour de quatre plaques
tectoniques. L’insularité, le relief, la sismologie, la relative
faiblesse des ressources du sous-sol, le climat sont des conditions
naturelles auxquelles la société japonaise a du faire face. Il
s’agit certes de contraintes qui ont rendu nécessaires des
adaptations. Philippe Pelletier note cependant que ces conditions
n’ont pas toujours été des handicaps pour le
développement ou la défense du Japon. Les Japonais ont
d’ailleurs surmonté un certain nombre de ces contraintes
grâce à des aménagements (terre-pleins, portes
anti-tusnamis, constructions parasismiques). La maîtrise technologique
peut cependant connaitre des limites comme l’a
révélé la catastrophe de Fukushima 11 mars 2011.
Un
tel défaut de maîtrise est redouté pour la Chine avec la
construction du barrage des trois gorges exposé à des aléas
sismiques. Cependant la problématique de la mise en valeur est
différente dans cet Etat-continent de près de 9.6 millions
de km². Les ressources sont nombreuses. La Chine est le premier
producteur mondial de charbon et de blé. Elle possède d’importantes
réserves stratégiques d’hydrocarbures dans le Xinjiang.
Elle possède le premier potentiel hydroélectrique au monde
qu’elle exploite au moyen du barrage
des trois gorges par exemple. Mais dans ces conditions d’immensité,
l’exploitation des ressources rend nécessaires d’importants aménagements
de transports (routes, voies ferrées, gazoducs). Cette volonté de
mise en valeur ou de contrôle donne lieu à un peuplement par les Hans, c'est-à-dire par
l’ethnie dominante en Chine. Parfois perçu
comme une colonisation, ce processus est parfois contesté
violemment. C’est le cas au Tibet ou dans la province du Xinjiang (nouvelle frontière
en chinois). Malgré tout la maîtrise du territoire
chinois est encore très inégale. Ces disparités sont
le reflet d’un mal-développement persistant. En
dépit de leur abondance, ces ressources ne sont pas toujours
suffisantes. Compte tenu de sa population (1.3 milliards
d’habitants, 800 millions d’actifs) et de ses besoins industriels,
la Chine doit, comme le Japon, recourir à des
importations de produits primaires pour satisfaire ses besoins. Ces ressources
peuvent également être compromises par des
phénomènes comme la désertification ou la pollution.
Contrainte : élément (obstacle, aléa)
qui gêne la présence et les activités humaines dans un
milieu donné
Ressource : dans un milieu donné, élément
exploité par une société humaine pour satisfaire ses
besoins.
b)
… Le
« vainqueur » et le « vaincu » (un
poids inégal sur la scène politique internationale-une approche
géopolitique)
La
République Populaire de Chine est membre permanent du Conseil de
sécurité de l’ONU. Le Japon, lui, ne l’est pas.
Comment expliquer cette situation ?
Un
rappel historique est ici nécessaire. La rivalité entre la
Chine et le Japon est ancienne. La Chine, « Pays du
Milieu », est un vieux foyer de civilisation constitué
en empire dès le 3ème siècle avant J-C.
Son influence s’étend sur la quasi totalité
de l’Asie orientale sous la dynastie des Qing. L’Asie
sinisée désigne donc l’ensemble de la région
où cette influence est perceptible à travers
l’écriture idéographique, le confucianisme ou le
bouddhisme. A partir du milieu du 19ème
siècle, la Chine est affaiblie. Les puissances expansionnistes du
moment lui imposent des concessions territoriales et une « ouverture
économique forcée ». Elle est alors
« l’homme malade de l’Asie ». Débute
alors ce que l’histoire officielle chinoise qualifie de «
siècle de la honte ». Ce dernier est marqué
notamment par la guerre sino-japonaise (1937-1945). Une bonne
partie de la Chine littorale entre alors dans la sphère de
coprospérité japonaise. Mais en 1945, le Japon sort vaincu
de la guerre du pacifique. Désormais,
l’article 9 de la constitution lui interdit d’avoir une
armée. Le pays s’interdit de disposer de l’arme
nucléaire. Ceci explique la relative faiblesse
géopolitique du Japon. De son côté, en 1949,
la Chine continentale devient République Populaire de Chine. C’est
cependant la République de Chine, autrement dit Taïwan
ou la Chine nationaliste qui est membre permanent du Conseil de
Sécurité de l’ONU. Elle finit par céder
son siège à la RPC en 1971. Entre temps, la RPC s’est
dotée de l’arme nucléaire (leçon sur le chemin
de la puissance chinoise).
c)
Shenzhen, les
oies sauvages, le chat noir et le chat blanc (des modèles
économiques de moins en moins différents-une approche
géoéconomique).
Située
dans le delta de la Rivière des perles, à la limite de la région
d’administration spéciale de Hong Kong, Schenzhen est une mégapole
de 10 millions d’habitants qui a connu un développement
économique rapide depuis son ouverture partielle en 1980.
Shenzhen est en effet l’une des premières zones
économiques spéciales (ZES). Aujourd’hui, la ville est
un pôle économique majeur qui fonctionne en interaction
avec le centre financier d’Hong Kong. On y trouve notamment
l’une des plus grandes unités de production de la
société taïwanaise de composants électroniques
Foxconn. A elle seule, cette ville qui a servi de trait d’union entre
deux modèles économiques a priori opposés, est le reflet
de l’histoire des modèles de développement en Asie
orientale.
En
effet au sortir de la seconde guerre mondiale, le Japon s’engage dans un
développement économique rapide. Celui-ci repose sur un
modèle de développement élaboré dans les
années 30. Il s’agit de la théorie du vol des oies
sauvages. Dans les années 50, il importe des matières
premières et des technologies. Le rôle de l’Etat
est alors important et le pays reçoit l’aide américaine.
Dans les années 50 et 60, l’industrie locale est
développée pour satisfaire la demande intérieure. Dans
les années 60, 70 et 80, cette industrie exporte vers les
pays du tiers-monde, puis vers les pays développés en augmentant
la valeur ajoutée de ses productions. On parle au Japon de période
de «haute croissance». Ce modèle de
développement s’est diffusé dans les
années 60, chez les « Quatre
Dragons » (Taiwan, Corée du Sud, Hongkong,
Singapour). Il s’agit désormais de NPIA. Dans les
années 70 chez les « Bébés
Tigres » (Thaïlande, Malaisie, Indonésie,
Philippines) l’ont adopté à leur tour. A partir des
années 90, le Japon délocalise, une partie de ses
activités industrielles vers les NPI voisins ou la Chine. En effet
après l’échec du développement sur modèle
soviétique et du grand bond en avant, les réformistes
comme Deng Xiaoping imposent au pays une politique pragmatique d’ouverture
maîtrisée de l’économie chinoise. En 1980, sur le
modèle des zones franches des quatre dragons asiatiques, quatre zones
économiques spéciales (ZES), sont créées.
Il s’agit de Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Xiamen En 1984, quatorze villes
côtières sont ouvertes à leur tour. En 1985, sont
créées les zones économiques des trois deltas (Rivière
des perles, Fujian méridional et Yangzi). En 1997 et en 1999 Hong Kong
(RU) et Macao (Port.) sont rétrocédés à la Chine
populaire et deviennent des régions d’administration
spéciales.
Théorie du vol des oies sauvages : théorie développée
dès les années 30 au Japon selon laquelle, le
développement d’une production peut reposer, dans un premier
temps, sur l’importation et le transfert de
technologies, puis sur une production nationale destinée
à satisfaire les besoins locaux puis les marchés étrangers
grâce à l’exportation. Dans une
dernière phase, il devient plus avantageux de délocaliser cette
production et d’en développer une autre.
ZES : espaces au statut
juridique particulier attirant des entreprises étrangères
grâce à des avantages fiscaux et à certaines
libéralités (libre retour des capitaux et des productions, statut
d’extra-territorialité).
Schéma :
la théorie du vol des oies sauvages.
II… les deux pays
cherchent à imposer leur puissance.
a)
La
« première-deuxième » et la
« troisième » puissance économique ….
Jusqu’en 2010, le Japon
s’impose comme la seconde puissance économique mondiale. Il
est alors à lui seul l’un des pôles de la triade.
Mais le modèle de développement japonais commence à
connaître ses limites au début des années 90. On
observe alors un ralentissement de la croissance. En 1997 et 1998,
le Japon est impliqué dans la crise financière asiatique.
La Chine elle apparaît alors comme un pôle de stabilité.
Elle connaît, elle, des taux de croissance annuels à deux
chiffres. En 2001, elle intègre l’OMC. Elle
s’ouvre aux productions à haute valeur ajouté du nord mais
elle accède à son tour au marché des pays
industrialisé. Finalement en 2010, elle finit par s’imposer comme
la deuxième puissance économique mondiale, voire comme la première, si on considère
le PIB à Parité de Pouvoir
d’Achat (PIB-PPA). Elle représente désormais 16.5% de l’économie mondiale. Elle supplante ainsi le Japon. Elle est
donc passée du statut de pays en développement à
celui d’Etat-continent émergent voire émergé. Désormais,
la Chine est une puissance à part entière mais elle
connaît encore des limites. Elle conserve encore certains traits du
sous-développement comme la pauvreté des campagnes qui
alimente des flux migratoires vers les métropoles du littoral
(phénomène des Mingong). 45% de la population est encore
rurale (2008). Les disparités spatiales et surtout sociales sont encore
profondes dans un pays qui à longtemps promu
l’égalitarisme. Désormais, Shanghai, que certains considèrent comme une ville globale, est, avec ses tours, son
quartier d’affaire de Pudong et
son port de Yangshan ,le reflet de cette puissance et de son intégration
dans la mondialisation.
Mingong : migrants
originaires des régions rurales constituant une population flottante
estimée à 20 millions de personnes.
b)
…peuvent
être adversaires (approche géopolitique interétatique)
La
profonde rivalité entre la Chine et le Japon se poursuit. Une
véritable guerre des mémoires se manifeste lorsque des
chinois contestent le contenu des manuels d’histoire japonais au sujet du
massacre de Nankin en 1937. Des protestations
s’élèvent également quand des responsables japonais
se recueillent sur le site du temple de Yasukuni. Les chinois y voient
un hommage aux 14 responsables japonais condamnés à la fin de la
seconde guerre mondiale par le tribunal militaire de Tokyo. Mais
l’antagonisme ne se limite pas à ce conflit mémoriel.
Très
concrètement, la Chine revendique l’archipel de Senkaku
situé en mer
de Chine entre Taiwan et Okinawa. Il faut dire que d’importantes réserves
d’hydrocarbure sont soupçonnées dans la ZEE de ces
îles. Les incidents se sont multipliés depuis quelques
années. En octobre 2010, le Japon a demandé à Google de ne
pas afficher le nom chinois des îles Diaoyutai sur googlemaps.
En
2012, l’ambassadeur de Chine en Belgique mettait en avant une carte
française de 1832 pour légitimer la souveraineté de son
pays sur ces îles. La rivalité politique entre les deux pays
n’est pas feinte. Pourtant….
c)…et partenaires (approche géopolitique
et géoéconomique à l’échelle
régionale)
….les
échanges entre la Chine et le Japon sont nombreux. Par exemple,
le Japon est le troisième investisseur en Chine derrière Hong
Kong et Singapour. La Chine est de loin le premier fournisseur du Japon
en matière commerciale. D’une manière plus
générale, de nombreux flux animent d’ailleurs
l’ensemble de l’Asie orientale. La République de Chine (Taïwan)
est le premier investisseur dans le delta de la Rivière des
Perles. Il existe donc entre la Chine et le
Japon comme dans toute la région des relations
d’interdépendance. En ce qui concerne la Chine, son principal
allié dans la région est le turbulent Kim Jong-Un (Corée
du Nord). Avec le Vietnam les relations s’améliorent depuis
1991. Ce pays a d’ailleurs lui aussi fait
le choix d’une ouverture contrôlée de son économie.
Il existe même des tentatives d’intégration
régionales. On peut évoquer l’ASEAN. Cette
association des Etats du Sud-Est Asiatique est créée en 1967 pour
contrer l’extension de l’influence chinoise dans le contexte
de la guerre froide. Elle réunit à l’origine le Brunei, le
Cambodge, l’Indonésie, le Laos, le Myanmar (Birmanie), la
Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Mais la
Corée du Sud, le Japon et la Chine sont désormais
associées à cette organisation dans le cadre de l’ASEAN
plus trois. Tous ces pays envisagent la création d’une une vaste
zone de libre échange, l’AFTA (ASEAN Free Trade
Area) d’ici 2015. Cependant, un certain nombre de litiges rendent
encore difficiles les négociations. Les îles Paracels sont
convoitées par la Chine, le Vietnam et Taïwan. Les îles
Spratleys sont une source de contentieux entre la Chine,
le Vietnam, le Brunei, la Malaisie, Taiwan, les
Philippines et l’Indonésie. L’Arunachal Pradesh et
l’Aksai Chin sont l’objet d’un différend entre la
Chine et l’Inde. En Asie orientale et méridionale, on peut
être adversaire et partenaire.
IDE : investissement direct à
l’étranger
a)
Il existe des
limites à leur influence croissante sur la scène internationale.
En
1999, la Chine n’était considérée que comme une puissance
émergente quand les troupes de l’OTAN ont
bombardé son ambassade à Belgrade. Depuis les relations
entre la Chine et les Etats-Unis se sont normalisées. Désormais
certains envisagent même une gouvernance conjointe du monde dans
le cadre d’un éventuel «G2». Mais nous n’en sommes pas là.
La Chine reste critiquée pour son non-respect des droits de
l’homme ou des nationalités. On le constate au Tibet ou dans les camps de travail (laogai) où croupissent entre 2 et 6
millions de prisonniers. Le «pays du milieu» n’est pas
encore la superpuissance susceptible de rivaliser avec les
Etats-Unis. Son influence s’étend en Asie et en Afrique
grâce à ses investissements et la « stratégie
du collier de perles ». Elle développe son arsenal
militaire en se dotant par exemple de porte-avions. Elle détient
plus de 1000 milliards de $ en bons du trésor américains.
Mais, si elle concurrence les Etats-Unis, elle n’en n’égale
pas pour l’instant la puissance et l’influence. A ce sujet, la
toute récente tournée diplomatique de Barack Obama dans la
région est destinée à renforcer les alliances
militaires des Etats-Unis avec la Malaisie, les Philippines, la
Corée du Sud et le Japon. Ils disposent d’une base militaire
importante à Okinawa. Depuis quelques années
d’ailleurs, le Japon cherche à avoir plus de poids sur le plan
géopolitique. Depuis 1954, il a constitué, en dépit de
l’article 9 de sa constitution, une force d’autodéfense
que certains considèrent comme la quatrième armée du
monde. Le Japon a également envoyé des hommes en Irak
en 2003. Il souhaiterait avoir un siège de membre permanent au
Conseil de sécurité de l’ONU. La Chine, cependant,
s’y oppose. Depuis 2013, le premier ministre Shinzo Abe développe une stratégie
« pacifique active ». Le message s’adresse à
ses voisins.
Conclusion :
Dans
la concurrence qui oppose le Japon et la Chine, on assiste donc à
une forme de chassé croisé entre les deux puissances.
Après la défaite de la seconde guerre mondiale, le Japon a
surmonté un certain nombre de ses contraintes et concentré ses
efforts sur le développement économique pour devenir la seconde
puissance dans ce domaine. Aujourd’hui, il est désormais dépassé
par la Chine. On peut parler de réémergence au sujet
de ce pays longtemps considéré comme un pays du Sud, un Etats-continent
en développement. Les contentieux entre les deux pays sont anciens
et nombreux mais un paradoxe caractérise leur
rivalité. Leur antagonisme n’empêche pas les relations
économiques.
Les
efforts de la Chine en font désormais une puissance régionale
à prétention mondiale. Bien que la puissance du Japon ne
repose pas sur les mêmes bases, on pourrait la qualifier de la
même façon. En effet, limité dans le domaine politique
et militaire depuis 1945, le Japon n’a pas renoncé à une
influence à la hauteur de ses capacités économiques.
Il reste un géant économique mais il n’est plus un nain
politique (Philippe Pelletier).
Auteur : Nérée Manuel
Bibliographie :
SANJUAN T., Le
défi chinois, La documentation photographique, n° 8064,
juillet-août 2008, La documentation française. [CDI]
Philippe Pelletier, Le
Japon, une puissance en question, La Documentation Photographique n°
8029, 2002 [CDI]
FOUCHER m. (sd), Asies
nouvelles, Atlas géopolitique, Belin 2002. [CDI]
Philippe Pelletier, Le
Japon, Géographie Universelle.
Philippe Pelletier, Le
Japon, Armand Colin.
Dernière mise
à jour : 05/15