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TES, TL
Titre : Le patrimoine : une lecture historique et géopolitique à partir de l’exemple de la
vieille ville de Jérusalem (Yerushalayim, al Quds).
« Jérusalem a la
valeur qu’on lui donne … » Frédéric Encel.
Les
instructions officielles indiquent que le « patrimoine est défini comme l'ensemble
des biens hérités du père, de la famille et, par extension, de la nation. [Il] peut être matériel (objets retrouvés, conservés,
restaurés et montrés : mobilier urbain, monuments, archives, contenu des
musées…) ou immatériel [langue, symboles, représentations]) ». De ce point de vue, certains lieux présentent un
intérêt particulier par le nombre et l’importance de vestiges qu’ils présentent
ou par la charge symbolique qui leur est associée. C’est le cas de Jérusalem en
Israël/Palestine au sujet de laquelle en 2011, une émission de France Culture
titrait « L’archéologie de Jérusalem peut-elle échapper à
l’instrumentalisation religieuse ? ». Il aurait était possible
d’ajouter avec Frédéric Encel, à l’instrumentalisation géopolitique.
Problématique : On peut en effet se demander pourquoi la vielle ville de Jérusalem et son patrimoine sont aujourd’hui encore des enjeux que se disputent différentes
nations, différentes communautés ? On peut également s’interroger sur les
précautions à prendre pour analyser ces revendications.
I Un patrimoine concentré sur un territoire
restreint (approche descriptive)
« Jérusalem n’a pas plus de solutions que la vie n’a de solutions.
Jérusalem est une situation » Meron Benvenista, Jérusalem,
une histoire politique.
a)
… qui repose
sur un site et dans une situation spécifique.
Le
site de la ville de Jérusalem
présente un intérêt défensif. Il
s’agit de l’extrémité d’un plateau,
le plateau de Judée dont l’altitude est régulièrement supérieure à 600. Une
fois fortifiée, elle est difficile à prendre. Le sol calcaire fournit le matériau calcaire nécessaire aux
constructions (cf carrières de Salomon). Par
ailleurs, une source le Gihon, fournit l’eau précieuse dans cette région méditerranéenne, notamment en
cas de siège. En dépit de cette position, entre les collines, des vallées, permettent les communications
avec la région environnante. Leur contrôle est fondamental pour sécuriser la
ville (importance de la colline de Latron à 25 km de
Jérusalem). Mais Jérusalem n’a jamais été un carrefour important.
b)
Sur un
périmètre limité se concentrent des lieux patrimoniaux majeurs.
La
vielle ville de Jérusalem est l’une des plus anciennes cités à peuplement
continu. Sa superficie est de 0.82km². Il s’agit donc d’un territoire très restreint divisé en quatre
quartiers : le quartier juif
au sud, le quartier arménien au sud
ouest, le quartier chrétien au nord
ouest et le quartier musulman au
nord est. On trouve dans ces différentes parties des sites patrimoniaux majeurs. Dans le quartier juif, on trouve le Kotel Hamaaravi, (mur
occidental pour les juifs, mur des
lamentations pour les chrétiens) et la synagogue Ben Zakkai.
Dans le quartier chrétien, se trouvent la Via
dolorosa, la basilique du
Saint-Sépulcre, le Golgotha, l’église Sainte-Anne. L’esplanade des mosquées (Haram as-Sharif) surplombe
le quartier musulman. Elle enserre la Mosquée
Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. On trouve autour de la vielle ville d’autres sites
majeurs comme le Mont des oliviers
qui est le plus ancien cimetière juif ou le tombeau du roi David qui se situe sur le Mont Sion au sud de la vieille ville de Jérusalem.
c)
Aujourd’hui,
l’agglomération dépasse largement le cadre de la vielle ville.
Aujourd’hui,
la vielle ville n’est qu’une petite
partie d’une agglomération plus vaste
(121.1km²) qui compte près de 700000 habitants.
Ils sont juifs pour les deux tiers et arabes pour quasiment un tiers. Il existe également aux yeux des
autorités israéliennes un e « grand
Jérusalem » composé de différentes implantations juives en
Cisjordanie. Dans ces conditions, la métropole
Jérusalem représenterait près de 900 km².
II …très disputé sur le plan géopolitique (approche
diachronique et multiscallaire)
a)
Dès l’origine
de l’Etat d’Israël, la ville de Jérusalem est un enjeu.
En
1947, le plan de partage de l’ONU prévoit la création de deux Etats, l’un juif et l’autre arabe, ainsi que l’internationalisation de Jérusalem. Mais ce plan est rejeté par
les Etats arabes voisins qui déclarent la guerre à Israël (guerre d’indépendance). A l’issue de cette guerre en 1949, l’Etat arabe disparait. Une « ligne verte » est tracée à
l’ouest de Jérusalem entre Israël et la Transjordanie (aujourd’hui Jordanie).Cette
dernière chasse d’ailleurs les Juifs qui résidaient alors dans la vielle ville.
Mais dès cette année, l’Etat d’Israël considère
symboliquement que Jérusalem est sa capitale.
b)
Elle fait
ensuite l’objet d’une annexion par l’Etat d’Israël, mais...
En
1967, à l’issue de la guerre des 6 jours, les
israéliens conquièrent la Cisjordanie. Désormais Israël contrôle Jérusalem. Le
quartier juif de la « vielle ville » est restauré. La destruction de constructions
permet de dégager une place et de rendre possible l’accès à cet élément majeur du patrimoine judaïque : le mur
occidental. A partir de ce moment là est engagé un processus d’implantations juives à l’est de Jérusalem. En 1980, par
la loi de Jérusalem, le parlement israélien fait de la ville dite «réunifiée »,
la capitale de l’Etat d’Israël. Cependant,
elle…
c)
… reste revendiquée
par les palestiniens.
Depuis
la domination britannique, les palestiniens revendiquent, Jérusalem comme
capitale d’un Etat arabe indépendant.
Abritant des lieux majeurs de l’Islam (mosquée Al-Aqsa-dôme
du Rocher), elle apparaît comme la seule digne de ce statut pour l’OLP. En 1988, Jérusalem pourtant
contrôlée par les israéliens, est proclamée
capitale de la Palestine même si les autorités palestiniennes n’y siègent
pas. Cet attachement à Jérusalem est perceptible à plusieurs reprises dans la vieille ville. C’est le cas en 1996,
lorsque les palestiniens s’opposent à l’ouverture
du tunnel Hasmonéen. C’est le cas également en septembre 2000, quand la
visite du dirigeant israélien Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquée-mont du
temple, perçue comme une provocation donne
lieu à la seconde intifada.
Intifada : en
arabe soulèvement ou guerre des pierres.
OLP : organisation pour la libération de la Palestine.
A l’origine en 1964, elle réunit plusieurs courants politiques. Progressivement
le Fatah de Yasser Arafat s’impose comme le plus influent.
d)
La vieille
ville est aussi un enjeu chrétien.
Ainsi,
par exemple, le Vatican ne reconnaît pas
l’annexion de Jérusalem par Israël. Or le christianisme est divisé et les
différents lieux saints de la vieille ville sont disputés par les différentes églises. Au moins six églises se disputent le Saint-Sépulcre, premier lieu saint du
christianisme : le culte grec orthodoxe, le culte catholique latin, les coptes,
l’église arménienne, les syriens
orthodoxes, et les abyssins (chrétiens éthiopiens). Ces affrontements peuvent
donner lieu à des violences. Ainsi, en 1997, il faut l’intervention du premier
ministre israélien pour calmer les tensions.
e) …et l’intérêt qu’on lui porte est international.
Pour
commencer, la France possède des territoires à Jérusalem qui font
partie de son domaine à l’étranger.
C’est le cas de l’Eglise Sainte-Anne ou du Tombeau des rois. La France comme de nombreux autres Etats ne
reconnait pas Jérusalem comme capitale d’Israël. L’ONU par différentes résolutions fait de même. L’Union européenne demande le partage de la ville.
La
Ligue arabe créée en 1945 qui a
longtemps refusé de reconnaître Israël accepterait
désormais que seule Jérusalem-est soit la capitale d’un futur Etat palestinien.
La Conférence Islamique créée en
1969 qui réunit 57 Etats membres demande
la « libération des lieux saints de l’Islam à Jérusalem ». L’instrumentalisation
de Jérusalem dépasse donc la seule cause palestinienne.
II …car la vielle ville est un enjeu majeur de conflits
de représentations (pour une lecture historique des traditions)
a)
La ville est un
élément fondateur du judaïsme
« Le monde est comme le globe de l’œil. Le blanc
de l’œil, c’est l’océan qui entoure l’Univers ; l’iris, c’est ce
continent-ci ; la pupille, c’est Jérusalem, et l’image dans la rétine,
c’est le temple. » Talmud, Derekh Eretz Zouta, 9.
Schéma
La
Torah situe à Jérusalem des épisodes
importants de l’histoire des patriarches.
Elle raconte que Dieu fait don à Abraham d’Eretz Israël constituant ainsi avec lui l’Alliance. Elle situe sur le Mont Moriah l’épisode
du « sacrifice d’Abraham ». Selon le livre de Samuel, David
roi des juifs, aurait fait de Jérusalem, la capitale politique et religieuse
du royaume unifié en l’an 1000 avant notre ère. Son fils Salomon aurait construit
le premier temple, enfermant l’Arche d’Alliance. Attention, l’existence de ces
personnages est contestée historiquement mais l’archéologie israélienne,
notamment Eilat Mazar, affirme qu’il existe un
matériel très solide pour démontrer la réalité de ces règnes (Palais de David
cité de David-colline de l’Ophel). Ces affirmations
restent aujourd’hui discutées par la communauté scientifique.
Il
est cependant une certitude c’est que Jérusalem
est restée le centre religieux et politique du peuple d’Israël pendant près de
10 siècles du 10ème à 135, après JC. Le premier temple construit par Salomon au Xème siècle avant
JC aurait été détruit par les babyloniens au VIème siècle avant
JC., puis reconstruit par Hérode alors
que la région est sous domination romaine au 1ère siècle avant
JC. Il est finalement détruit sous Hadrien en 130 après JC. Les juifs sont ensuite dispersés (diaspora).
Ceci
explique l’importance du mur occidental,
perçu comme le lieu le plus proche du Saint
des Saints. Ceci explique également cette phrase prononcée depuis les temps
d’exil à l’occasion du nouvel an et de la Pâques juive : « l’an prochain à
Jérusalem ».
Talmud : commentaire
des livres saints et de la tradition orale dans le judaïsme.
Torah : cinq
premiers livres de la bible. Elle est attribuée à Moïse. On utilise également l’expression
Pentateuque pour la désigner.
Diaspora :
dispersion du peuple juif qui cesse d’être un nation
dotée d’un territoire.
Patriarches :
nom donné aux grands ancêtre du peuple hébreu dans la
Bible.
a)
Elle devient
ensuite ville sainte du christianisme ….
La
Bible raconte que de nombreux épisodes de la vie du Christ se déroulent à
Jérusalem : sa montée au temple, sa crucifixion, sa mise au tombeau
et sa résurrection. Le Saint Sépulcre est d’ailleurs considéré
par plusieurs églises comme le tombeau du Christ. Mais l’authenticité de cette
localisation est discutée aujourd’hui encore. Par exemple, les protestants eux
privilégient un emplacement appelé la tombe
du Jardin (près de la porte de
Damas) qui semble mieux correspondre à la description biblique.
Il
n’empêche qu’au IVème siècle après JC,
Hélène mère de l’empereur Constantin, fait
de Jérusalem la Ville sainte des Chrétiens en prétendant avoir retrouvé la
vraie croix sur le site du Saint-Sépulcre. Jérusalem devient ensuite byzantine
avant de passer sous domination musulmane. Dans le monde chrétien, Jérusalem fait
alors figure de cité idéale. Elle mobilise les croisés qui s’en emparent en
1099 et fondent le Royaume latin de
Jérusalem.
b)
…puis de l’islam.
Le
Coran raconte que le Prophète
Mahomet (570-632) a d’abord prié au vers Jérusalem avant de changer de direction de prière (qibla)
vers La Mecque. Par ailleurs, la sourate XVI du même livre, raconte un
« voyage nocturne » de Mahomet vers une « mosquée très éloignée » (al-aqsâ en
arabe). Beaucoup assimilent ce lieu à Jérusalem, même si le Coran ne l’évoque pas explicitement. Une chose est certaine
cependant, après la mort de Mahomet, le
calife Omar s’empare de Jérusalem (637-638). C’est dans la période de domination musulmane qui
suit que sont construits la mosquée Al-Aqsa (679) et le dôme du Rocher (691-692). Cependant,
entre 750 et 1258, Jérusalem n’est qu’une ville
secondaire du monde musulman, même si elle est désignée comme Al Quds–la
sainte à partir de 966. En 1099, la prise de Jérusalem par les croisées ne
suscite pas plus d’émotion que cela dans un
monde musulman très divisé. Par contre, au 12ème siècle, la
ville est instrumentalisée pour mobiliser les forces musulmanes pour la
reconquête des territoires sur les chrétiens. Sous les Ottomans, à nouveau,
Jérusalem redevient une cité secondaire.
Ainsi, Jérusalem n’a jamais été
la capitale d’un Etat d’un empire d’un royaume d’essence islamique (Frédéric
Encel).
Cependant, face au sionisme
en développement Jérusalem devient une revendication palestinienne dans les
années 1930-1940. Bien plus tard, le leader palestinien Yasser Arafat (1929-2004),
bien que laïc, utilise la force
symbolique des lieux saints de l’esplanade des mosquées pour rallier les
palestiniens et les nations arabes à sa cause. Il déclare « Jérusalem est
trois fois importante ; pour les palestiniens, les arabes et les musulmans.
La seconde intifada, orchestrée semble-t-il par lui-même en 2000, est baptisée
intifada Al-Aqsa. La montée du mouvement islamiste
Hamas renforce aujourd’hui la sacralisation
de la vielle ville. Attention cependant, tous les arabes palestiniens ne sont
pas musulmans et encore moins islamistes.
Schéma
des cercles identitaires musulmans.
Islamisme : c’est un projet qui vise à ré-islamiser la société
et à créer un système politique totalisant qui gérerait tous les
aspects de la société, de l'économie en s'appuyant sur les seuls fondements de
l'Islam (Olivier Roy).
Calife : chef
suprême des musulmans.
Sionisme :
principe de la restauration d’une entité politique juive en Palestine. C’est
l’écrivain hongrois Théodor Herzl qui
se fait le grand promoteur de cette idée.
Cl : On constate donc
avec l’instrumentalisation des lieux saints de la vieille ville de Jérusalem que
le conflit au Proche-Orient est aussi un conflit des représentations (Jean-Christophe
Victor et Yves Lacoste)
Conclusion :
Le
cas de la ville de Jérusalem est donc représentatif de la définition du patrimoine.
En effet, les vestiges très matériels témoins des temps anciens (bâtiments,
rues, tunnels, murs) sont porteurs d’une
charge symbolique telle qu’elle confirme le caractère également immatériel due
cet héritage.
C’est
un cas unique de concentration sur un territoire extrêmement exigu de lieux symboliques majeurs qui cristallisent
toutes les représentations. Leur contrôle est un enjeu qui dépasse le seul
conflit israélo-palestinien pour devenir une préoccupation internationale. Il
en résulte une situation inextricable qui fait dire à Frédéric Encel que chercher une solution géopolitique à la question
de la vielle ville serait l’équivalent de la « quadrature du cercle ».
Auteur :
Nérée Manuel
Bibliographie :
ENCEL F., Géopolitique de Jérusalem, Champs
essais, Flammarion, 2008
ALBERGANTI M. L’archéologie
de Jérusalem peut-elle échapper à l’instrumentalisation religieuse ?,
Science publique. 23/09/2001.
MAALOUF A., Les croisades vues par les Arabes,
Récit, j’ai lu, 2002.
Dernière mise à jour : 08/13